La plus trash des pièces de Shakespeare devient l’opportunité d’une curée drolatique quand Sophie Perez la monte pour les 25 ans de sa compagnie.
Difficile de se passer de la formule de Gide, “Familles, je vous hais !” quand on se penche sur La Très Lamentable Tragédie romaine de Titus Andronicus, la première tragédie shakespearienne. Monument érigé au patriarcat à l’antique, ce portrait d’un général romain de pure fiction fait froid dans le dos.
Voilà un père de famille qui a sacrifié vingt-et-un de ses fils en les envoyant au combat et a tué le vingt-deuxième dans un accès de rage. Face à des adversaires ayant la dent dure, et pour épargner la vie de deux autres fils accusés de meurtres, on lui propose de se couper une main. Un marché de dupes où Titus (Gilles Gaston-Dreyfus) ne récupère que sa main avec les têtes de ses enfants. Côté fille, c’est pire. Lavinia (Erge Yu) est violée et on lui coupe la langue et les mains. Une tête sous chaque bras, le père fait au final une sortie de scène en beauté en ordonnant à sa fille comme à un chien : “Porte ma main, ma douce, entre tes dents.”
La force décapante du happening
Le massacre cauchemardesque de la famille romaine devient un prétexte en or pour se faire plaisir en rendant hommage à l’aventure heureuse d’une famille choisie… Celle des acteurs et actrices réuni·es par Sophie Perez dans la compagnie du Zerep, qui fête ses 25 ans. Misant sur la force décapante du happening, l’équipe ouvre la soirée par une parade de majorettes, où l’on retrouve les incontournables que sont Sophie Lenoir, Stéphane Roger, Marlène Saldana, Gilles Gaston-Dreyfus, Françoise Klein, Erge Yu, Marie-Pierre Brébant, Adrien Castillo et Baptiste De Laubier.
Après quelques minutes, la séquence d’auto-promo s’achève sur l’annonce surprise d’un entracte. Craignant le piège d’un gag conçut pour se débarrasser de lui, le public n’ose sortir de la salle, surtout que les interprètes bricolent sur le plateau durant la pause. Une manière de soulever le capot de la machine théâtrale avant de se lancer tête baissée dans le vif du sujet.
Sous des lumières chipées au cinéma de Mario Bava et dans un décor de péplum chiné dans les réserves de Cinecittà, l’action se déroule entre des colonnes de pierre qui se gondolent sous les cintres et une cuisine cannibale installée entre les voûtes d’un cloître en ruine. Enchaînant les morceaux de bravoure, nos protagonistes brodent avec génie sur ce qui reste du texte de Shakespeare. Un exercice de style, où brille la fantastique Erge Yu, qui incarne Lavinia avec une grâce inouïe, tandis qu’on décerne à Sophie Lenoir, plus inquiétante et drôle que jamais, une mention spéciale pour l’ensemble de son œuvre. Famille, je vous aime !
La vengeance est un plat d’après La Très Lamentable Tragédie romaine de Titus Andronicus de Shakespeare, conception, mise en scène et scénographie Sophie Perez. Du 25 au 30 novembre, MC93, Bobigny. Du 9 au 21 janvier 2024, Athénée-Théâtre Louis-Jouvet, Paris. Les 24 et 25 janvier 2024, Comédie de Caen.