Cet entretien entre dans le cadre des recherches de Caroline Bernard sur les voies alternatives à la psychiatrie. Une recherche qui s’inscrit dans la création du spectacle At The End You Will Love Me, à voir du 12 au 21 mai. Il sera également diffusé sur la RTS.
Vincent Girard est psychiatre et chercheur. Enfant, il voulait être vétérinaire jusqu’à ce qu’à sa rencontre avec une petite fille autiste. Déçu par la psychiatrie, il a initié plusieurs expériences de terrain pour aider les patient·e·s à aller mieux.
Caroline : Vous êtes psychiatre et chercheur, et à l’origine de nombreux projets alternatifs à la psychiatrie à Marseille. Votre parcours brise de nombreux préjugés et tabous en terme de santé mentale. Pouvez-nous expliquer d’où vient votre intérêt pour la psychiatrie ?
Au départ, je voulais être vétérinaire. Je trouvais que les humains étaient des êtres assez détestables qui détruisaient la planète et qui tuaient tous les animaux. Quand j’étais petit, j’avais un oncle, guide de chasse, je détestais sa pratique. J’arrêtais les chasseurs qui passaient devant chez moi, pour leur interdire de chasser, je leur disais que c’était ma colline. Ma mère était psychologue. Un jour, elle a amené une enfant dite souffrant d’autisme secondaire, rescapée des orphelinats roumains construits par Ceaușescu. Cette gamine était à la maison pendant une après-midi, et c’était ultra-violent. Elle se tapait la tête contre le sol tellement fort que cela résonnait dans toute la maison. Puis elle s’est mise contre moi, dos à moi et elle m’a pissé dessus. Ma mère m’a dit : « C’est bien, elle a confiance en toi ». Cela m’a énormément touché que cet être vivant, un être humain ait des comportements animaux. Je devais avoir dix ans, je me suis dit : « je vais m’occuper des enfants autistes ». À l’école, je travaillais bien, mais je me battais beaucoup, j’étais assez indiscipliné, rebelle à l’autorité. Je lisais énormément, tout et n’importe quoi. Je pouvais lire à trois, quatre, cinq heures par jour, j’avais épuisé Zola, Balzac, Victor Hugo, Levi-Strauss. Au collège, les profs de français hallucinaient. Pour autant, je n’étais pas assez brillant pour faire l’école de vétérinaire, j’ai donc fait médecine.
Dans ma famille, les gens étaient un peu tous malades, comme ma mère, qui a lutté contre une sorte de dépression chronique. Mon père était un anxieux, un enfant maltraité, ma tante avait une anorexie grave. J’avais un oncle qui était et qui est toujours bipolaire d’ailleurs, disons que c’est l’étiquette qu’on lui a collée. En médecine, j’aimais bien l’anesthésie en réanimation. Je trouvais que c’était intense de voir tous ces gens mourir ou être sauvés comme livrés à une sorte de roulette russe. C’était un peu l’entrée au paradis, tu meurs, tu ne meurs pas. Puis, j’ai finalement choisi la psychiatrie parce que je trouvais que c’était le plus « rigolo ». Je me suis dit, « là, tu vas pouvoir faire de la recherche, il y a une sorte de niche un peu atypique. » J’avais lu les écrits de Lacan à 16 ans et tout Freud à 14 ans. Ma mère m’a biberonné à la psychanalyse mais au bout de six mois en psychiatrie, j’ai voulu abandonner. Je me suis dit, les psychiatres sont fous, ils enferment les gens et les cachetonnent, ils font n’importe quoi. J’ai négocié une pause d’un an dans mes études, je suis parti faire la traversée de l’Atlantique avec un ami en bateau. J’ai traversé la Colombie en stop, je me suis marié avec une colombienne. Là-bas, j’ai même rencontré Jacques Mabit, un médecin français, qui avait monté un centre de traitement pour les addicts à base d’ayahuasca.
À votre retour, vous vous familiarisez avec le concept de rétablissement, un modèle médical qui rompt avec la notion de guérison, et qui se centre sur le point de vue du « patient » à la première personne ?
Quand je rentre de mon année sabbatique, la psychiatrie est toujours aussi violente. On enferme les gens, on les séquestre et on les maltraite, on les bourre de médocs. Je trouve cela d’une inefficacité crasse et c’est totalement maltraitant. J’assiste alors à la conférence d’un professeur américain qui s’appelle Larry Davidson à la fac de médecine de St Germain. Il est devant 300 psychiatres, psychologues, tous d’obédiences plus ou moins psychanalytiques et il leur explique le concept de rétablissement. Moi je ne connaissais pas ce mot et je prends ça de haut. Le rétablissement, explique-t-il, c’est lorsque vous demandez à un patient ce qu’il souhaite et il vous dit :« je veux manger une coupe de fraises avec de la crème dans mon bar préféré au bord de la mer » et que vous l’emmenez sur place manger avec lui ces fraises à la crème: « Recovery is like strawberry with cream, cream with strawberry, this is recovery, just strawberry with cream. ». Et là, je vois tous les psy en train de se fissurer dans l’amphithéâtre. Un psychanalyste dans l’amphi hurle : « non, mais comment ça ? C’est pas ça ? Et l’histoire de la mère et le père ? Et le complexe d’Œdipe ? » Et Davidson, il a un petit sourire comme ça, il rigole de plus en plus dans le brouhaha de la salle qui monte, et il répète encore « strawberry with cream, cream with strawberry ». Quelques temps après, je lui propose de faire un stage dans son équipe, pour travailler dans la rue avec les sans-abris. À l’époque, j’avais une barbe comme ça, les cheveux qui touchaient le sol. J’étais prêt à n’importe quoi pour quitter Marseille et la psychiatrie française.
Grâce à cette expérience, vous découvrez les travailleur·se·s pair·e·s, ou encore l’open dialogue, des pratiques qui chamboulent le schéma hospitalier de la psychiatrie ?
De fil en aiguille, je deviens un travailleur social de rue dans la ville de New Haven, je marche dans la rue, dans la neige, tôt le matin, je vais voir des gens, je discute: « Comment ça va aujourd’hui et comment t’as dormi ? T’as besoin d’un sac de couchage ? Tu veux qu’on te file un coup de voiture pour aller à tel endroit ? » « Tu veux appeler ta mère, ton père, ta sœur, ton frère ? »
Et puis discuter de tout et de rien. Dans cette équipe, je découvre les travailleurs pairs, c’est-à-dire des gens qui ont été dans la rue, qui ont eu des problèmes de santé mentale, qui ont fait de la taule, et qui aident les autres. Dans la rue, tu n’imposes rien aux gens, ils font ce qu’ils veulent. Ils en ont marre de te voir ils te disent : « vas-y dégage ». On est chez eux, en fait, ils mènent la danse. Toi tu es invité, tu es toléré. C’est complètement l’inverse de l’hôpital psychiatrique. L’hôpital psychiatrique, c’est la maison du psychiatre et de la psychiatrie et c’est le patient qui est toléré dans cet endroit. Donc c’est vraiment pour moi un renversement de paradigme. Les relations sont tellement plus égales. Tu n’as quasiment aucun pouvoir, juste le pouvoir de persuader, de convaincre, d’aller prendre une douche, de manger, de voir un médecin.
En rentrant en France, j’intègre une équipe bénévole à Marseille pour les sans-abris à Médecins du monde. La première journée, je rencontre un autrichien qui s’appelle Herman, le gars parle cinq langues, c’est un ancien chef d’entreprise. Il vient de guérir d’une première tuberculose dont il a failli crever. Je le trouve brillant, je lui propose de devenir travailleur pair, et il me dit : « ça m’intéresse, il faut que j’arrête de boire et je te rappelle. » Il me rappelle un an après pour me dire : « je suis prêt », et on commence à travailler ensemble. J’arrive à convaincre la DRASS et l’hôpital de faire une sorte d’alliance entre Médecins du monde et l’hôpital, et nous montons le projet MARSS, une équipe de santé mentale de rue avec des travailleurs pairs.
Et la première chose qu’on fait ? On ouvre un squat à la rue Curiol, avec l’appui d’un collectif de militants dont des jeunes chercheurs en anthropologie et sociologie qu’on appelle « collectif logement santé ». Il fallait arrêter de parler, la seule solution pour aider les gens, c’était de leur trouver un logement avant tout, donc on ouvre ce squat.
Au bout de trois semaines, les hôpitaux nous adressent des patients : « Allo le squat de la rue Curiol, on aurait un patient ; là il est hospitalisé, il voudrait venir chez vous. » On est plein à craquer, dès qu’on retape une chambre, une personne s’installe. Le journal Le Monde parle de nous, on devient un peu connu. C’est en 2008, au moment où Nicolas Sarkozy fait son discours hyper stigmatisant sur la psychiatrie depuis un hôpital psychiatrique de la région parisienne. Et là, j’étais en contact avec un conseiller de Roseline Bachelot, ministre de la santé, je lui écris : « vous n’êtes pas dans la merde » et la ministre décide alors de venir nous voir à Marseille. Elle débarque dans le squat rue Curiol, et discute pendant une heure avec les habitants. Peu après, elle nous donne les moyens pour pérenniser le projet, et nous commande un rapport ministériel sur les personnes sans abris. Nous sommes une dizaine à travailler dessus, Pierre Chauvin un épidémiologue social parisien, Pascale Estecahandy de Toulouse. Suite à ce rapport, nous lançons Un chez soi d’abord, sur le modèle canadien Housing First, l’idée est avant tout de trouver des logements aux sans-abris. On est en 2010, je suis alors thésard, et nous lançons un des plus gros projets de recherche en santé mentale de France. Tous les pays d’Europe attendent les résultats, le projet prend une envergure européenne.
L’expérience du squat a permis d’identifier plusieurs autres besoins mise à part le logement. Un des besoins est celui d’un lieu autre que l’hôpital pour pouvoir se réfugier en cas de crise psychiatrique aiguë. En 2018, grâce à pas mal d’ingénierie et de plaidoyers, nous ouvrons alors le lieu de répit, un hébergement communautaire, sur le modèle de Soteria. Un autre besoin a été celui de l’évitement aux incarcérations. Idem avec beaucoup de plaidoyers et une ingénierie de financement très compliquée, nous arrivons à lancer un projet appelé AILSI, sous la conduite du psychiatre Thomas Bosetti (qui vient de débuter en mars 2022).
En 2015, je découvre à New York une équipe qui met en place le projet Parachute, un mixte entre Soteria et Offshore, lancé dans les années 70. Les travailleurs pairs du projet sont spécialisés dans la gestion de crise mais aussi dans l’open dialogue. C’est une approche qui inclut soignants, travailleurs sociaux, patients par une prise en charge fondée sur le dialogue. Très souvent, cela évite l’hospitalisation et la médicamentation lourde. Avec l’aide de Peter Stancy, un vieil ami de ma directrice de thèse, et Anne Lovell, une chercheuse américaine basé en France, nous intégrons les travailleurs pairs au Lieu de répit. Carlos Léon, spécialiste de l’open dialogue à Genève, vient alors former des travailleurs pairs à Marseille, certains partent également en Finlande rencontrer les pionniers en la matière.
Aujourd’hui, vous souhaitez plutôt prévenir que guérir, vous considérez que la société doit changer de modèle de soins ?
Aujourd’hui mon intérêt porte sur les programmes de développement des compétences psychosociales, plus que la psychiatrie institutionnelle : par exemple, le programme Inspire contre les violences éducatives ordinaires porté par l’OMS, fondé sur le modèle suédois. Il faut changer de modèle éducatif, les principes fondés sur le schéma punition-récompense-compétition doivent être remplacés par de la communication explicite, la coopération, la négociation, l’autonomie.
On connait des précédents dans l’Histoire, les chasseurs cueilleurs en général et les Amérindiens en particuliers, eux, avaient un modèle plutôt fondé sur la coopération et l’apprentissage par l’expérience. Après la guerre de 1914-1918, des éducateurs ont également travaillé ce sujet, et se sont rendus compte que nos modèles éducatifs fabriquaient des moutons capables de se faire tuer pour leur pays. Les découvertes sur le développement du cerveau chez l’enfant concordent toutes sur le fait, que si vous n’interdisez pas les choses, mais vous les expliquez, si vous travaillez sur la coopération plutôt que de la compétition, le cerveau se développe mieux. Vous avez moins de troubles de santé mentale, plus de connexions neuronales, plus d’intelligence, plus d’ouverture, plus de créativité.
J’ai passé la première partie de ma vie professionnelle à vider la baignoire et maintenant je veux couper le robinet. Le rétablissement aide les gens qui vont mal et ça marche. Mais il faut changer la société pour les aider. C’est la société qui les rend malade, et c’est à elle de s’adapter à eux et pas l’inverse. Aujourd’hui, notre modèle de société est une des sources principales des problèmes de santé mentale. On sait par exemple qu’en diminuant les violences dans l’éducation, les problèmes d’addiction sont moindres, l’ascenseur social marche mieux, la pauvreté diminue. C’est scientifiquement prouvé par plein d’études. Il y a un prix Nobel qui a dit : « s’il y a un programme social à mettre en place, c’est le développement des compétences psychosociales parce que c’est ce qui rapporte le plus. Vous investissez 1 $ vous en récupérez 60. Dites ça à n’importe qui qui vend des pizzas ou du café, et il vous expliquera que c’est du pur business ». 1 € pour 50 récupérés, c’est rarissime et je ne sais pas pourquoi c’est un business qui n’intéresse personne. Sur le programme Un chez soi d’abord, on est arrivé à 1 € investi, 1,4 € récupéré, on a considéré ça comme un résultat extraordinaire.
Je mène dans le même temps une quête et une enquête. Je tente d’aider un ami brisé par la psychiatrie. La première chose qui me frappe, c’est lorsque la première psychiatre pose un diagnostic, je ne reconnais pas mon ami dans ces mots. Quand vous commencez votre histoire avec la liste des diagnostics qu’il y avait dans votre famille, je perçois le diagnostic comme un endroit de la limite. Quand je parle aux experts finlandais de l’open dialogue, ils me disent qu’il faut en finir avec la métaphore de la maladie. Pour eux, la santé mentale ne se pose pas en ces termes.
Un référent en santé mentale en Belgique dit que les diagnostics n’étaient pas utiles pour soigner les gens. Et c’est assez vrai. Je pense que le diagnostic n’aide pas forcément les soignants à réfléchir à des bonnes stratégies. En réalité, ce qui soigne n’a rien à voir avec le diagnostic. Les médicaments, cela ne marche pas, voire c’est dangereux. Cela marche peut-être sur du moyen terme pour 20-30% des gens, mais jamais sur le long terme. C’est éventuellement utile pour gérer les crises.
Aujourd’hui, les associations d’usagers de la psychiatrie demandent au niveau international, de rattacher les troubles, non pas à une étiologie génétique mais à une étiologie autour du trauma et des violences subies dans l’enfance. On revient donc à la question des violences éducatives ordinaires. La violence est toujours perçue comme étant quelque chose d’extraordinaire, alors qu’elle est aussi ordinaire. Ordinaire, ça veut dire que par exemple la manière de parler à son enfant, de lui imposer des choses, de le mépriser parce qu’il est plus faible, a un impact durable. La place du trauma est négligée dans les catégories diagnostiques des psychiatres. Probablement car le trauma et le psychotrauma se soignent principalement par des psychothérapies qui marchent, et cela les met en porte-à-faux.
Il y a aussi beaucoup d’erreurs de diagnostics. Les catégories de diagnostics sont très fragiles au niveau scientifique, elles sont très discutées dans des débats à l’OMS par exemple. Qu’est-ce qui relève du trouble de l’humeur, qu’est-ce qui est de l’ordre de la schizophrénie, que serait la psychose ? Scientifiquement, ce sont plutôt des hypothèses que des certitudes. La dépression est-elle vraiment une maladie, ou est-ce que c’est une réaction normale à un monde qui dysfonctionne ? Aujourd’hui, les diagnostics, je m’en fous un petit peu. Il faut s’attacher aux besoins des personnes, et à comment les aider ? Quand j’ai été invité à l’OMS comme expert, la question posée dans les débats était : qu’apporte la science pour mettre en place une politique en santé mentale qui respecte les droits humains? Selon une approche evidence based and human based, d’un point de vue scientifique, les pratiques, comme l’open dialogue qui respectent les droits humains, sont plus efficaces.
Pour moi aujourd’hui, ce qui marche c’est d’être soi-même, d’être cohérent, congruent, de ne pas stigmatiser, de ne pas avoir peur. Je pense que le gros problème de notre société, c’est la peur. Je pense que les gens ont peur, ont peur des gens qui ont des troubles psychiatriques alors qu’on en à tous en fait. Tu as peur de toi-même, tu as peur de ta propre vulnérabilité, de la possibilité que toi aussi de devenir un jour, les autres. Les gens pensent qu’il y aurait des nous et des eux.
Avez-vous en mémoire des personnes qui s’en sortent, qui se sont rétablies durablement ?
J’ai une de mes meilleures amies avec qui j’ai fait mes études de médecine, qui a déclenché un trouble psychiatrique sévère pendant ses études et que j’ai soutenue tout au long de sa trajectoire. On a appris ensemble à déconstruire la psychiatrie et à reconstruire une stratégie efficace de rétablissement. Elle élève trois enfants, elle est anesthésiste réanimatrice. Elle a pris énormément de poids à cause des traitements, une hypothyroïdie secondaire au lithium, liée aux traitements psychiatriques. Le traitement est censé soigner et là, il l’a rendue malade. Aujourd’hui, elle vit sans traitement, avec plein de stratégies de bien-être. Quand elle entre en crise, elle prend quelques médicaments qu’elle maîtrise. J’étais vraiment en première ligne, son parcours est fondateur pour moi. Son état était sévère et elle est arrivée à se rétablir.
Avant ça, lorsque j’étais jeune psychiatre, j’ai rencontré Saïd* qui était enfermé en chambre d’isolement et qui n’arrêtait pas de défoncer la porte à coups de poings et de pieds. Je suis devenu son psychiatre et il m’a accompagné à lui faire confiance pour arrêter les traitements. Aujourd’hui, il est travailleur pair, médiateur de santé, il a quatre enfants. Il va bien, toujours sans traitement, alors que son diagnostic était plus plus plus.
Le rétablissement, c’est un processus long, ça prend plusieurs années. Saïd a été assez rapide, je dirais qu’en cinq ans, il s’est vraiment bien rétabli. Le système est tellement inadéquat, que pour te rétablir, tu dois te rétablir contre le système. Il faut être à la fois intuitif, autonome, flexible, évidemment intelligent. Mais c’est une intelligence pragmatique, inscrite dans le réel. Il ne faut pas être un théoricien, c’est une intelligence de vie.
Les rétablissements ne sont pas linéaires, ce sont des processus de changements. Ce n’est pas une politique des petits pas, c’est une politique d’essais-erreurs : je tente ça, ça marche, je tente ça, ça ne marche pas. Mais au moins dans le rétablissement, il y a une espérance. Au final, selon moi, le rétablissement, c’est aussi la capacité à se réaliser, à être heureux.
Depuis trente ans, la spécialité de mon laboratoire, c’est de mesurer le bonheur, la qualité de vie. On sait que la mesure épidémiologique de la qualité de vie ne marche pas très bien. Dans mon laboratoire, nous fabriquons des outils pour mesurer le bonheur, mais si évidemment, on veut mesurer le bonheur d’une population sans-abri, les échelles doivent être adaptées à leur contexte de vie. Sinon, ça ne marche pas. Ainsi, on peut mesurer si une stratégie thérapeutique joue sur le bonheur de la personne. C’est un critère bien plus intéressant que la diminution des symptômes. Si on veut diminuer les symptômes de quelqu’un, mais qu’il est malheureux, est-ce que vous avez vraiment améliorer sa santé? Cela peut paraître présomptueux d’un point de vue scientifique de mesurer le bonheur, mais du point de vue de la santé publique, cela permet d’avoir un critère plus pertinent.
Marseille est une plateforme des alternatives à la psychiatrie, le squat de la rue Curiol s’est transformé en maison d’accueil pour les gens de la rue avec des troubles psy sévères. L’équipe Marss pour le rétablissement sanitaire et social, le lieu de répit, sont toujours en place. Nous avons également ouvert un tiers lieu, le Coco-Velten. En 2019, nous avons lancé une université du rétablissement (COFOR, Centre de Formation au Rétablissement), sur le modèle international du Recovery College. Nous formons des gens en souffrance au rétablissement, avec l’aide de personnes qui sont elles-mêmes dans un processus de rétablissement plus avancé. Tout ceci existe à Marseille, mais pour autant, la majorité de l’argent continue à aller dans les hôpitaux psychiatriques qui sont des lieux de non soin. Alors, pourquoi ne mettons-nous pas en place des solutions qui existent Dans le livre « Les prisons où nous choisissons de vivre », Doris Lessing dit que dans le futur, les gens se poseront une question : « Pourquoi n’avons-nous pas utilisé toutes les solutions que nous avions découvertes ?» Pour moi, l’humanité se tape la tête contre les murs toute la journée comme cette enfant autiste, alors qu’elle peut répondre à ses besoins…
* Saïd Mezamigni, pairaidant et musicien, sera sur scène à Saint-Gervais. Découvrez son portrait.
Vincent Girard sera invité le samedi 21 mai après-midi à Saint-Gervais pour l’enregistrement public d’une émission spéciale du LABO / espace 2.
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