PRÉSENTATION
À quel appel répondons-nous lorsque nous suivons une vocation ? Quelle voix ou quelle voie suivons-nous pour devenir ce à quoi nous nous croyons destinés ? Avec Vocation, Émilie Charriot invite Pierre Misfud et Nora Kramer à dévoiler les choix, pas seulement explicites, qui conduisent leur vie vers la scène.
La metteuse en scène lausannoise a eu très tôt une passion pour le théâtre. Mais d’où venait-elle ? De quels secrets était-elle le nom ? Pour enquêter sur cet appel aussi évident que mystérieux, elle a proposé depuis deux ans à Pierre Misfud et Nora Kramer d’explorer avec elle ce qui les anime et détermine leurs volontés et leurs engagements.
Les deux acteurs·rices explorent leurs vies et leurs choix, se confient. Ils imaginent des vies alternatives, des vies qui auraient pu ou pourraient prendre des chemins différents. Les mots viennent décrire ce qui s’impose sans discussion ; et lorsque les mots n’y suffisent plus, le corps prend le relais, la danse se mêle au théâtre. Convoquer la vocation invite à méditer sur ce qui guide chacun·e de nous, à faire les choix que nous faisons.
Pour ce projet, Émilie Charriot déplace son travail théâtral. Celle qui a monté Peter Handke, Virginie Despentes ou Annie Ernaux, pistant avec elles et dans l’intimité les traces des déterminismes sociaux qui brident les existences, écrit cette fois un spectacle au plus près de ses interprètes, avec eux. De même que les anecdotes de leurs vies explicitent la sienne puis la nôtre, de même ce théâtre qui naît à partir de soi invite à penser des enjeux collectifs et ce qui inspire, raisonnablement ou non, nos engagements.
— Éric Vautrin, dramaturge Vidy
NOTE D’INTENTION
L’origine latine du mot Vocation est Vocare, à savoir l’appel. Le sens premier de la vocation est donc religieux – « un appel venant de Dieu » – avant de devenir une « inclination, un penchant impérieux qu’un individu ressent pour une profession, une activité ou un genre de vie ». J’ai choisi de partir de la question de la vocation artistique pour élargir cette thématique. Pourtant, il y a une part du mystère que je peux prendre en compte sans pouvoir la mesurer, celle des hasards nécessaires qui guident parfois nos choix nos vies. A-t-on vraiment le choix lorsqu’on parle d’appel ?
Est-ce que je vis la bonne vie ? Ai-je la conviction d’être là où je dois être et de faire ce que je dois à faire ? Ce sont tous les possibles d’une vie humaine, les métiers, les rencontres, les causes, les amours qu’on n’aura pas eu le temps d’explorer, parfois par peur, qui sont ici convoqués. Il ne s’agit pas de nostalgie pour ce qu’on ne connaît pas mais d’un sentiment de vertige face aux possibilités de l’existence. Selon la philosophe et psychanalyste Anne Dufourmantelle qui m’a guidée durant ce travail, la vocation est dans la réponse que l’on donne à un appel. Dans Éloge du risque, elle développe l’idée que l’intensité de nos vies se mesure aux risques que l’on aura pris. Et cette intensité est redoublée par le fait que nous sommes mortels. Cette idée est centrale dans mon spectacle.
À cela s’ajoute une dimension sociale, celle que nous ne naissons pas toutes et tous avec les mêmes cartes au départ et que les déterminismes sociaux qui nous conditionnent font partie de nos choix de vie. J’ai choisi deux personnes que quarante ans séparent. L’un est un acteur professionnel averti et l’autre une jeune adolescente avec qui j’ai travaillé sur Passion simple d’Annie Ernaux. Elle symbolise pour moi, des années précieuses de théâtre amateur. La voir grandir sur scène au sens propre et figuré a été très riche dans cette recherche sur la vocation. En face d’elle, un acteur dont la dimension tragicomique est désarmante. Je n’ai jamais considéré l’aveu de vulnérabilité comme un aveu de faiblesse mais bien au contraire comme une puissance dont je cherche à charger chaque acteur et chaque actrice qui entre en scène. Ces deux corps côte à côte m’ont raconté quelque chose de bien plus vaste qu’eux, qui, pour reprendre les mots d’Annie Ernaux « m’a relié davantage au monde ». J’ai voulu vous donner accès à ces deux êtres-là.
— Émilie Charriot, avril 2021