Une si parfaite journée : retrouver le lien

24 mai 2022

Cette saison, dans le cadre d’un partenariat, la Pépinière produit des reportages sur les créations programmées au Théâtre Saint-Gervais afin de documenter les méthodes de travail des artistes.

Pour conclure sa saison, le Théâtre Saint-Gervais accueillera la compagnie The Three Monkeys, pour Une si parfaite journée. Un spectacle fondé sur une approche documentaire, dans lequel Celine Bolomey et Coraline Clément convoqueront quatorze personnages, avec la complicité de Ludovic Chazaud à l’écriture.

En ce mardi 24 mai, lorsque je me suis rendu au Théâtre Saint-Gervais pour y rencontrer Celine Bolomey et Coraline Clément, elles s’apprêtaient à tourner une capsule vidéo, comme il est de coutume sur le blog du théâtre pour chaque création cette saison. Dans le petit local dédié au tournage, on remarque d’emblée la complicité entre les deux comédiennes : elles rigolent, se vannent, s’amusent à changer de place… Bref, elles jouent avec le format et s’en emparent ! Dans ce teasing du spectacle, elles créent le mystère, avec des réponses tout en évocation, sans en dire trop. On y apprend que leur projet est né de leur volonté de questionner. Quoi, au juste ? La réponse fait saliver : ce qui fait que les gens vivent ensemble, sans s’entretuer. D’où leur approche d’abord documentaire, qui a consisté en des entretiens avec les personnes dont il sera question dans Une si parfaite journée. Elles ont alors fait appel à Ludovic Chazaud, dont elles apprécient particulièrement l’écriture littéraire et le rapport ludique qu’il crée entre les niveaux de narration, le plateau et le récit. Il s’est ainsi emparé des témoignages de ces « experts de leur quotidien », ainsi que les nomme Coraline Clément, pour montrer que le banal, les anecdotes et l’indicible ne sont pas si futiles que cela… Sur le plateau, Celine et Coraline souhaitent redonner vie à ces entretiens, en reconvoquant les êtres rencontrés. À travers les 14 personnages qu’elles interpréteront, il sera question d’un jardin, de beau temps et de nourriture. On ne vous en dit pas plus pour le moment.

Un plateau en construction

Pour ce spectacle, les deux comédiennes sont entourées d’une équipe qu’elles mettent beaucoup en avant : Ludovic Chazaud pour l’écriture et la mise en scène, Yan Godat aux lumières, Aline Courvoisier pour les costumes, Pierre-Alexandre Lampert pour la composition musicale, sans oublier la scénographie de Lucie Gautrain. Pour l’instant, dans la salle de répétition, on découvre des traces au sol, comme des chemins qui pourraient caractériser les déplacements des personnages. Mais Celine et Coraline insistent sur un point : la réponse n’est pas figée. le·a spectateur·trice sera actif : iel fera travailler son imaginaire et sa subjectivité pour les transposer sur les éléments scéniques. Elles voient ainsi leur spectacle comme une forme de triangulation, une boucle entre les témoignages, leur jeu et le public. Coraline parle de « bouts de monde » que ces rencontres leur ont donné et dont elles se sont nourries. Car, au fond, c’est bien ça, le lien entre les êtres humains : des singularités créées à partir de celles des autres. « On se peuple » de ces rencontres, nous confie-t-elle encore…

Il nous faut évoquer ici l’idée de résonnance entre les êtres dont elles parlent dans Une si parfaite journée. Évoquant les théories du sociologue et philosophe allemand Hartmut Rosa, elles veulent s’appuyer sur ses conceptions et les rendre perceptibles, en sortant d’un aspect purement théorique. Quel meilleur lieu que le théâtre pour expérimenter cela, avec sa porosité entre la scène et le public ? Celine nous dit d’ailleurs que cette dimension fonctionne particulièrement bien avec l’écriture de Ludovic Chazaud, avec son parfait équilibre entre littérature et humour de scène.

Tension entre le collectif et l’individu

Dans la société actuelle, on prône beaucoup le plaisir solitaire et l’autonomie. Ce qui intéresse les deux comédiennes là-dedans, c’est le besoin du collectif pour y parvenir : apprendre à être autonome grâce à l’aide des autres. La tension entre individu et collectif est dès lors toujours perceptible. Pour recréer ce collectif, alors qu’elles ne seront que deux sur scène, elles font appel à ce qu’elles nomment « pièces à conviction » : des objets du quotidien dont elles se serviront ou non comme des accessoires, dans l’idée de restituer ou reconvoquer les moments partagés lors des entretiens. Pour accentuer encore leur effet, elles réfléchissent à la présence de l’audio : des extraits de témoignage comme des bulles de réel à la base de la conception de l’artifice qu’est un spectacle de théâtre. L’écriture de cette fable étant fortement ancrée dans le réel, il leur faudra parvenir à faire le lien entre elles deux et les entretiens. Ce qu’a déjà fait l’écriture de Ludovic Chazaud, partant de moments où les digressions et anecdotes étaient nombreuses pour ramener le propos à quelque chose de plus efficace. Pour en revenir au capsules audio, il s’agira de les intégrer, pour faire corps avec le reste, sans qu’il n’y ait une impression de rupture. Le réel et la fiction doivent se nourrir l’un·e l’autre. Comme le rappelle très justement Coraline : « Nos vies sont faites de fiction. »

Si le projet semble déjà très clair dans les têtes de Celine Bolomey et Coraline Clément, on a de notre côté hâte d’en savoir plus et de voir comment cela se retranscrira sur le plateau ! Parlant de rencontres, il nous faut encore évoquer un élément : chaque soir, un·e invité·e surprise, que les deux comédiennes ne connaîtront pas, montera sur scène à la fin du spectacle pour répondre à leurs questions pendant cinq minutes… La boucle sera ainsi bouclée, avec un retour à ce qui est à la base même du projet : un entretien avec des êtres du quotidien ! Si l’aventure vous tente, vous pouvez contacter Gail Menzi à l’adresse suivante : g.menzi@saintgervais.ch.

En attendant la suite et la découverte du plateau à la mi-juin…

Fabien Imhof

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