Trois soeurs au Caire– Note d’intention

08 mai 2023
© Philippe Macasdar

En 2013, soit deux ans après la révolution égyptienne, je suis allé au Caire pour tenter de comprendre comment les artistes, après avoir vécu ce moment d’espérance radicale inédit et la douloureuse déception qui a suivi, continuaient d’exercer leur métier. J’ai rencontré des personnes merveilleuses et combatives, aux dons multiples et singuliers, bravant toutes le spectre de la désillusion.

Deux ans plus tard, Saint-Gervais (dont j’étais alors le directeur) programmait une « quinzaine cairote ». Des liens se sont tissés. En 2018, j’ai été invité au Caire par Salam Yousry pour y jeter les bases d’un spectacle.

La figure d’Anton Tchekhov m’est apparue comme une possibilité d’établir un lien avec l’Egypte, à un peu plus d’un siècle (et un continent) d’écart. Tchekhov décrit une époque où l’histoire de la Russie et de l’Europe couve d’irrémédiables bouleversements. On ne sait pas encore lesquels et comment ils vont se manifester. Les pièces de Tchekhov nous laissent entendre qu’un monde va en remplacer un autre. Sans jamais la nommer, toute son œuvre est hantée par la figure de la révolution. C’est une ode obsédante au changement individuel, le désir d’une vie nouvelle, entre espérance et désespérance, en amont des grands mouvements collectifs. Pourquoi alors ne pas imaginer un spectacle se déroulant au Caire, en janvier 2011, durant la période prérévolutionnaire et qui l’aborderait de manière indirecte, oblique, sous l’angle de l’intime ? Quoi de mieux qu’une pension de famille comme cadre de l’action: un huis clos?

En 2020, Nanda Mohammad me fait rencontrer Ahmed El Attar qui m’encourage à creuser cette piste, me faisant remarquer que la problématique optimisme versus pessimisme, (fatalisme ?) chère à Tchekhov n’est pas sans faire penser à la relation que le peuple égyptien entretient avec son histoire. Ahmed El Attar m’apprend de surcroit que Tchekhov tient un rôle très important en Egypte, au théâtre, au cinéma et en littérature. Enfin, il me propose d’accueillir le futur spectacle au Caire*.

Si Les Trois soeurs est le détonateur du projet, le spectacle n’en est pas l’adaptation ou la réécriture, bien que des bribes significatives y résonnent. Le titre est un clin d’œil sentimental, un mot de passe. Il évoque naturellement les trois sœurs « originales », mais dans notre cas les trois protagonistes ne partagent pas le même lien familial. C’est le destin qui les rapproche et en fait, d’une certaine manière, des sœurs de cœur.

« Ici, on parle couramment Tchekhov »… D’autres de ses pièces, un récit et certaines de ses lettres nourrissent également le spectacle. Les personnages sont traversés et comme tatoués de ses mots, au point qu’ils les prennent parfois pour les leurs.

Au Caire, en janvier 2011, il était prévu qu’une statue de Tchekhov soit dévoilée. En découvrant cette information dont, cela restera une énigme, aucuns de mes contacts en Egypte n’avaient eu connaissance, je me suis dit qu’il y avait là matière à fictionner.

Philippe Macasdar

*Il était convenu que celui-ci soit créé au Caire puis présenté à Genève. Le calendrier s’est inversé. Le spectacle sera présenté au Caire dans une nouvelle version.

© Philippe Macasdar

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