Transformer son univers pour l’adapter aux enfants

21 janvier 2022

Cette saison, dans le cadre d’un partenariat, la Pépinière produit des reportages sur les créations programmées au Théâtre Saint-Gervais afin de documenter les méthodes de travail des artistes.

Après avoir rejoué deux de ses spectacles en septembre dernier dans le cadre de La Bâtie, le collectif Old Masters proposera bientôt un spectacle destiné aux enfants, inspiré de l’univers de ses précédentes créations. La Maison de mon esprit, à voir du 2 au 6 mars.

Tout commence en 2014 avec Constructionnisme, une performance sous forme de description d’objets construits par leurs soins. Eux, ce sont Marius Schaffer, Jérôme Stünzi et Sarah André, alias «Old Masters». Tous trois procèdent toujours ensemble dans leur processus de création, accompagnés par un musicien et une équipe qui varient. En 2016, ils proposent Fresque, qui a été rejoué au Grütli en septembre 2021 dans le cadre de La Bâtie, une création qui reprend l’idée du premier spectacle, cette fois à partir d’une bibliothèque que Charlotte (Charlotte Herzig) et Linus (Marius Schaffer) font visiter aux spectateurs. Cette idée du visiteur-spectateur leur est chère, puisque dans Impressions on retrouvait un personnage qui filmait les autres individus. Ils aiment, expliquent-ils, avoir cette distance d’observation centrée autour d’un micro-organisme, où le public serait témoin de quelque chose, dans une sorte d’indiscrétion. C’est sur ce spectacle que Sofia Teillet a rejoint ce collectif unique en son genre, qui travaille comme aucun autre !

Lorsqu’il s’agit de créer, les membres du collectif discutent, proposent leurs idées dans les grandes lignes. S’inspirant ensuite de la scénographie jusque-là mise en place, ils improvisent et écrivent ensuite leurs textes selon ce qui est ressorti de leurs tâtonnements. Spoiler : il arrive parfois que rien de bon n’éclate de ce processus. Lorsque j’ai eu la chance de les rencontrer, ils étaient dans leurs deux premières semaines de création. Un moment lors duquel ils avaient toute liberté de tester, sans aucune contrainte. Ils montaient ainsi des scénographies et essayaient de les présenter à un autre, comme dans un laboratoire expérimental à taille humaine. Il me faut préciser ici que leur prochain spectacle empruntera à priori des éléments et personnages des précédents spectacles. Dans leurs créations, donc, ils utilisent des espaces et des objets transitionnels entre le public et eux-mêmes. Comprenez par-là que, s’il n’y a pas d’adresse directe au public, ils se positionnent souvent dos aux spectateur·trice·s, comme pour avoir un regard commun avec elles et eux. Cela leur permet de se questionner en même temps que celles et ceux qui les regardent. Les personnages sont ainsi plus effacés, et ce sont l’espace et les objets qui sont mis en avant, permettant à chacun de se projeter. D’où leur concept d’«acteur-non-acteur».

Ainsi donc, les premières ébauches de spectacles se font sous forme d’improvisation. L’idée ? Se mettre dans différents états, en travaillant le rapport à la couleur, à la matière, sans oublier une petite touche de magie – qui sera d’autant plus importante dans un spectacle destiné aux enfants ! Dans l’improvisation à laquelle j’ai assisté, plusieurs décors ainsi que trois personnages d’anciens spectacles ont été repris. Ces derniers sont totalement imaginaires et ne ressemblent à rien de connu. Les membres du collectif m’ont donc fait visiter le plateau, ou plutôt l’habitat de ces personnages. Il y a, dans ce procédé, un côté quelque peu absurde, dans la description parfois très terre à terre que font les personnages de leur environnement, d’où surgissent des réflexions inattendues : on les identifie alors un peu à des enfants qui voudraient faire découvrir l’univers qu’ils ont inventé, dans une façon de procéder à la fois très crue, sans filtre, mais aussi très bienveillante. Comme un enfant qui exprimerait tout ce qui lui passe par la tête, mais voudrait tout de même qu’on se sente bien. Dans le même temps, Jérôme filme la scène pour revoir les idées ensuite. 

© Jérôme Stünzi

Dernier élément important du processus de création : le débriefing. Alors qu’il n’y a pas toujours de bonnes choses à retenir des improvisations, on se questionne par la suite sur ce qu’on peut faire lorsqu’on est désemparé·e. C’est là que les valeurs fondamentales du collectif surgissent : solidarité, tentatives de relance, place laissée aux autres… Ainsi, l’énergie circule entre eux et peut se maintenir. Ceci permet l’émergence de potentielles trouvailles et de nouvelles pistes à explorer. Le processus de création des Old Masters est ainsi fermé dans un univers préexistant, mais s’ouvre à toutes sortes d’éléments. Chacun amène son vécu, les exercices tirés d’autres expériences, théâtrales ou non. L’essentiel à retenir est l’état esprit partagé par toute l’équipe, qu’ils cherchent à retransmettre au public.

Ce processus de création particulier est bien sûr employé pour leur prochain spectacle, La Maison de mon esprit. Tout est né d’un concours en vue d’un festival de créations à Berne, destiné aux enfants. En y réfléchissant, les membres du collectif se sont dit que leur univers pouvait s’adapter aux enfants. Certains de leurs spectacles ont même été joué devant des enfants, présents au milieu d’un public adulte. Ici, la situation est bien différente, puisqu’il s’agit non pas de créer de toute pièce un spectacle destiné aux enfants, mais bien de partir d’un univers pré-existant et de l’amener aux plus jeunes. C’est pourquoi les Old Masters ont amené leur matériel, la scénographie et les costumes des précédents spectacles, dans le but de les reprendre dans La Maison de mon esprit. Comme de coutume, ils procèdent avec une ou deux improvisations par jour, en s’inspirant du théâtre pour enfants.

En imaginant ce spectacle, ils ont ainsi dû se poser d’autres questions. Eux qui n’ont pas d’enfants – ou en très bas âge, pour certains – n’ont pas l’habitude d’être confrontés à ce genre de public. Ils gardent donc toujours en tête l’idée de la cohérence et du vraisemblable, tout en conservant leurs questionnements à l’esprit. Les Old Masters aiment quand l’imaginaire déborde sur le réel, dans l’idée d’ouvrir le champ des possibles : ce sont ces questionnements qu’ils ont envie d’amener aux enfants. D’où le titre : La Maison de mon esprit, cet espace mental dans lequel ils se sentent en sécurité, et qui mêle leur vécu, leur expérience réelle et leur imagination sans limites. Mais comment aborder cette idée ?

Les premières improvisations se sont tournées vers les contes pour enfants que l’on connaît bien. Rapidement, ils sont retombés sur beaucoup de clichés, ce qu’ils cherchaient à éviter. D’où l’idée de reprendre des éléments de leurs précédents spectacles, pour un travail doublement inédit : s’adresser aux enfants et reprendre les éléments d’anciennes créations, pour créer un nouveau propos. Ils réfléchissent ainsi à l’idée d’impliquer un enfant sur scène, soit le même, soit un différent chaque soir. À l’heure où j’écris ces lignes, les Old Masters n’en sont qu’aux premières ébauches de ce projet qui s’annonce complexe, mais qu’on attend d’ores et déjà avec impatience ! Rendez-vous quelques jours avant le spectacle pour la suite de ce reportage, avec sans aucun doute des détails plus précis sur la trame de La Maison de mon esprit

Lire ce reportage sur le site de La Pépinière

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