Cher quartier Saint-Gervais,
Je crois qu’on peut dire qu’on est dépendants l’un de l’autre, toi et moi. Je suis celui qui t’embellis, et toi tu es l’humus dans lequel mes racines s’enfoncent chaque jour un peu plus, depuis plus de 30 ans déjà.
La première fois que je t’ai rencontré, c’était lors d’un repas au café Saint-Gervais. C’était mon premier jour de boulot, j’avais commandé une paella avec une limonade au gingembre. J’avais le coeur serré de me sentir inconnu dans un quartier, une ville, et même un pays. Venant de la campagne à des centaines de kilomètres d’ici, rien ne pouvait, a priori, nous réunir.
Seulement, je t’ai entendu vrombir, puis t’apaiser quand mon plat est arrivé. Certes, c’était l’heure où tout le monde s’arrête un petit moment, mais j’ai bien aimé imaginer que tu m’offrais un peu de répit, par respect pour mon repas que j’avais envie de prendre au calme.
Et si c’était dans la nourriture, plus précisément les repas, où trouver l’espace de cessez le feu des pires guerres ou zones d’inconfort ?
Après cela, j’ai pris un petit express avant de filer, le coeur déjà un peu plus léger.
Comme tu es mon socle, je me permets de te parler ici, franchement.
Je ne peux rien faire pousser dans du béton – bien que l’autre jour une pivoine sauvage dont la graine s’était faufilée dans une fissure a poussé au milieu du trottoir de la rue Coutance. Demain je retournerai voir si elle est toujours là, si elle a pu survivre avec autant de passage. Mais une pivoine, même si on est très pressé, ça se remarque.
Et si les pivoines étaient la solution à l’accélération débordante et vertigineuse du monde ?
Je ne peux rien faire pousser dans du béton, alors je te serais reconnaissant d’arrêter de multiplier tes surfaces grises et lisses. Même pour toi ce sera trop, tu ne pourras plus soutenir tout ce monde et tout ce gris et on va tous s’écrouler dans les souterrains. Et rien ne pousse dans les souterrains.
Je ne sais pas ce que je déciderai de faire le jour où je serai à la retraite. C’est bientôt, tu sais. Retourner d’où je viens ? M’installer près de ton coeur ? Découvrir un autre espace ? Quoi que je choisisse, je me souviendrai toujours de cette paella durant laquelle tu as patiemment respecté mon besoin de paix.
Et si les espaces que nous traversons représentaient les graines qui font que nos jardins intérieurs ne meurent jamais ?
Avec tendresse,
Ton jardinier
Cher Saint Gervais,
Quand je suis arrivé, tu m’as accueilli. J’ai bien dû arroser tout le quartier de mes liqueurs méditerranéennes, mais, tout de même, tu m’as accueilli. D’autres n’ont pas pris cette peine, ils n’ont pas tenu. C’est qu’on n’arrive pas là n’importe comment, on est choisis, et pas que pour l’argent. Enfin, on était choisis, et j’ai fait partie de ceux-là.
De contrats de quartiers en fêtes des ponts, j’ai pris ma part. J’ai fait vivre de mes méchouis ce village de la rive droite, j’ai embaumé tes rues de mes épices. Manor s’en souvient encore. On venait jouer chez moi, mélanger les graines à pleines mains ! N’en déplaise à l’administration, j’ai toujours aimé les mélanges.
Aujourd’hui je reste là, tout près, à veiller. J’ai mis ma grande tunique, celle des beaux jours. Et puis une seule belle bague, pour ne pas trop en faire (mais c’est celle que j’aime le plus). J’ouvre grand mes yeux, et je convoque volontiers les souvenirs de fesses. Au café Saint Gervais, dans la rue des Corps Saints, passent des fantômes. Tant que je pourrai les raconter, ils auront lieu.
Alors, cher Saint-Gervais, permet moi de te dire que j’ai aimé cette vie près de toi quand la Méditerranée discutait avec l’Asie du sud-est et l’Amérique latine avec l’Afrique sub-saharienne, et que mes grands yeux malicieux te rendent justice, dès que l’occasion de te raconter se présente.
Un baiser.
Malek
Lettre au Plaza
A toi Le Plaza,
Une boutade.
Nos deux existences collisionnent, fusionnent.
Imbriqué l’un dans l’autre, désormais nous survivons ensemble.
Tant que tu demeures, j’ai du sens.
J’existe
L’éclat de ton entre a abreuvé les rêves de l’enfances.
Ton déclin et ta ruine ont fait gronder la colère.
La lutte débute.
Celle des citoyens et citoyennes qui se sont éveillés de la torpeur nostalgique.
Chaque siège de rouge velours arrachés par la pelleteuse nourrissait de rage le ventre de ces fous qui en croyant, pensait pouvoir encore te sauver.
Notre victoire est commune. Désormais nos chemins se séparent.
Que cette victoire puisse nourrir l’espoir qu’il reste encore une force collective inter-espèces, inter-espaces. Pour les croyants de chaire de pierre et de matière il est temps encore de se battre et gagner.
Je crie notre histoire pour que son murmure reste perceptible dans le bruit du monde.
Avec amour et respect,
Bien à toi,
José