Sur les toits avec Paranoid Paul

24 mars 2022

Cette saison, dans le cadre d’un partenariat, la Pépinière produit des reportages sur les créations programmées au Théâtre Saint-Gervais afin de documenter les méthodes de travail des artistes.

Du 26 avril au 4 mai prochains, le Théâtre Saint-Gervais vous propose de plonger dans l’univers de Paranoid Paul, un texte de Simon Diard dont se sont emparés Bastien Semenzato et ses comédien·ne·s. Mais avant, on plonge dans la cuisine de cette création, en pleine gestation…

Au Saint-Gervais, tout commence souvent… sur les toits (n’allez pas croire pour autant que les troupes accueillies au sein du théâtre sont perchées – quoique !). C’est là, sur une petite terrasse du 6e étage, rencognée entre les tuiles et les cheminées de ce Geneva-by-roof, que j’ai rencontré la troupe. Autour de la table, d’une gourde isotherme ou d’une tasse de café, les yeux un peu cernés mais des sourires grands comme le Jet d’Eau, il y a six jeunes diplômé·e·s de la Manufacture : Coline, Davide, Estelle, Azelyne, Antonin et Georgia.

Débriefer…

Nous sommes jeudi matin, et tout commence par un tour de table. Comment gérer la fatigue des répétitions, les ressentis nés de la confrontation avec son personnage ? Comment s’immerger dans l’histoire d’un·e autre sans s’y perdre ? Comment négocier avec le sentiment de ne pas y arriver, de faire du sur-place ? Voilà le genre d’espace que Bastien Semenzato propose à ses acteur·trice·s, guidé par trois mots-clefs : parole, écoute et pédagogie. « Les personnages qu’ils et elles doivent jouer leur ressemblent », explique le metteur en scène. Il est donc important de disposer d’un lieu pour exprimer ses doutes et ses ressentis, mais aussi pour écouter ceux des autres. À ce titre, la démarche de Bastien Semenzato repose sur un réel souci pédagogique : il s’agit d’accompagner, de fournir un cadre de réflexion… mais sans imposer. « À la Manufacture, j’ai été leur professeur », précise Bastien. Pourtant, rien dans sa posture ne suggère le prof (pris dans le mauvais sens du terme) : à chacune, à chacun de prendre les propositions et de cheminer ensuite avec. Ou non.

…s’échauffer…

Après le débriefing vient le moment de l’échauffement. Nous laissons les toits aux pigeons et aux corneilles, pour rejoindre le parquet ensoleillé de la salle de répétition. « Ce que nous essayons de faire », me dit Bastien, « c’est de jouer à un jeu en créant les règles en même temps. Nous travaillons beaucoup l’impro par le jeu, avant de travailler sur les personnages. On fait aussi confiance aux choses qui se déposent en nous, malgré nous, dans les moments où on ne travaille pas sur ce projet. » Avant tout, il faut se mettre en condition : échauffements et étirements, le tout rythmé par une playlist digne des meilleures chorégraphies TikTok. Les exercices, peu à peu, se précisent : rythme de la marche, arrêts brusques, pauses soudaines afin de fixer un sentiment ou une émotion…

…ressentir…

Outil de travail, le corps permet de se mouvoir – mais aussi de ressentir, d’abord ce qui se passe en soi-même, puis ce que les autres essaient de nous transmettre. L’accent est donc mis sur la plasticité du corps, sur la tension et le relâchement qui naissent en lui lorsqu’il se confronte à de nouvelles injonctions lancées par le metteur en scène. Toujours dans l’idée de ressentir, c’est ensuite la communication verbale et non-verbale qui est abordée : avec l’exercice des « Bonjour », les acteur·rice·s confrontent leur propre individualité avec la force du groupe. Il s’agit de lancer un « Bonjour » (neutre, original, avec gestes ou pas)… et de voir si celui-ci est rendu par les autres. Comment négocier avec l’échec ? Que faire de la honte qui naît quand le groupe ne répond pas à l’appel ?

Ces émotions (je le comprends au fil de la matinée) sont importantes, parce qu’elles se trouvent à la base de l’histoire de Paranoid Paul : le texte de Simon Diard met en effet en scène un groupe de jeunes adultes, proches depuis l’enfance, qui évoquent des souvenirs. Au cœur de cette mémoire collective, des références communes (musiques, jeux, films, anecdotes)… mais surtout deux garçons, dont l’évocation remplit bientôt toute la conversation : Gregg, le meneur du groupe, et Paul, le souffre-douleur. Paranoid Paul raconte l’obsession de ce groupe pour Paul, le garçon étrange qui n’en fait pas partie, mais que l’on aime considérer comme un antagoniste. Pour la troupe, il est donc fondamental de se confronter en cours d’échauffement à la manière dont un groupe fonctionne – ou dysfonctionne.

…jouer !

La dernière partie de la matinée est consacrée à la répétition d’une partie du texte. D’abord proposé comme une italienne (c’est-à-dire une répétition-lecture sans y mettre le ton), l’exercice change rapidement de ton, tant il est difficile d’investir ces personnages si proches sans les jouer. Je découvre donc l’enfance du groupe, entre vannes et souvenirs. Le format alterne entre parodie de télénovelas, discussions à bâtons rompus et interviews façon réseaux sociaux (pensez à celles proposées par Brut, par exemple). Chacune et chacun y donne sa version de l’histoire, tente de mettre des mots ou des ressentis sur la rivalité qui s’est progressivement construite entre Gregg et Paul – une rivalité née un jour funeste de Mardi Gras… mais chut, je n’en dirai pas plus !

Ça, ce sera pour notre prochaine rencontre au Saint-Gervais.

Magali Bossi

→ Retrouvez ce reportage sur le site de la Pépinière.

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