Showgirl – Note d’intention

23 août 2021


Un monologue éruptif signé Jonathan Drillet & Marlène Saldana, d’après le film SHOWGIRLS de Paul Verhoeven (1995) 

Une création en coréalisation avec la Bâtie – Festival de Genève

Synopsis du film : 
Nomi Malone est une jeune fille sexy qui rêve de devenir danseuse dans les plus beaux casinos de Las Vegas. Elle commence sa carrière comme strip teaseuse au Cheetah’s, un rade situé dans les bas-fonds du Strip, le «off broadway» des casinos de Vegas. Sa route, chaotique, sera pavée d’humiliations, couleuvres et autres substances visqueuses à avaler, entre crises de nerfs, conversations à ongles tirés, violences physiques et verbales, mais elle sera éclaircie de temps à autre par des moments de sororité réconfortants: Nomi rencontrera notamment Molly, une habilleuse qui travaille sur Goddess, LE show (volcanique) du moment dans l’un des casinos les plus réputés de la ville, le Stardust. Après avoir éliminé sa rivale, Cristal Connors, elle parviendra à devenir la star du spectacle, celle qui sort du volcan, la déesse. Malheureusement son amie Molly se fera violer par son idole, un chanteur de charme, et Nomi choisira de la venger, révélant par la même occasion son propre passé, entre prostitution et tragédie familiale, acceptant après cet aveu de retourner à l’anonymat et de reprendre la route pour… Los Angeles!

Cette histoire, sorte de remake trash de All about Eve mâtiné de 42nd street et de Chorus Line ou A star is born, on la connaît par cœur, et on en a même eu une version récente avec Black Swan, en plus psychotique. Mais Showgirls a débordé le cadre du film pour rejaillir dans la vie réelle: le sort réservé aux acteurs du film, et spécialement à Elizabeth Berkley, interprète de Nomi, 22 ans à l’époque du film, fascine et rejoint dans un sens la thèse du film qui serait, comme le dit Jacques Rivette, qu’il nous faut apprendre à survivre dans un monde peuplé d’ordures. Ce film a presque mis fin à sa carrière d’actrice: son agent l’a virée, plus personne n’a voulu l’engager, et elle a reçu deux Razzie Awards de la pire révélation et pire actrice de 1995, qui sont ses seules récompenses à ce jour. Elle est pourtant décrite par Verhoeven comme une femme audacieuse, qui ne connaît pas la peur, mais qui se fera broyer par Hollywood.

Film de l’abus sous toutes ses formes, Showgirls a dépassé la limite de l’acceptable pour les spectateurs américains, étant l’incarnation même du proverbe «ce qui se passe à Vegas reste à Vegas». Certes le film est une fiction, mais ses scénaristes l’ont écrit après des semaines de recherches et de rencontres sur place, immergés dans la sub-culture américaine, la culture underground de Las Vegas. D’où l’ambiguïté du genre de Showgirls: une fiction cynique et sombre qui serait aussi un documentaire tentant de dévoiler ce qui se passe vraiment à Vegas, mais de manière hyperbolique, «over the top», à base d’extravaganza à tous les niveaux de la création: les mouvements de caméra, le jeu, la lumière, le texte…

Le film de Verhoeven, qui fut un échec critique et commercial colossal lors de sa sortie en 1995, est aujourd’hui reconnu comme un monument de la contre culture queer, du «camp» et de l’expressionnisme pop, un film culte pour certains et pour d’autres un des meilleurs mauvais films jamais réalisés, objet de rire et d’ironie, à regarder au trentième degré ou pendant une soirée bien arrosée. Il s’agissait donc aussi pour Verhoeven, comme il s’agira pour nous, de questionner le goût. Le film a été réalisé en toute liberté par son auteur qui se demande, dans le documentaire Showgirls, portrait of a film: «Is it all just tits and ass?» (est-ce qu’il s’agit vraiment seulement de nichons et de culs?)

MONOLOGUE

Le scénario, écrit par Paul Verhoeven et Joe Eszterhas, sera la base du texte de notre projet, que nous envisageons comme un monologue aux voix multiples. Nous ne nous interdirons pas d’en réécrire quelques passages, de modifier la traduction de la version française, ou d’y faire quelques coupes et ajouts, mais nous voulons surtout en faire une litanie, un monologue frénétique, quelque part entre Oh les beaux jours de Beckett et Loretta strong de Copi. La danse, comme dans le film, occupera bien sûr une place de choix: pole dance, strip tease, jazz, danse moderne.

On ne parle pas d’argent à Las Vegas sans parler à la fois de pauvreté, d’ambition, de volonté de réussite sociale: nous nous pencherons donc avec Verhoeven sur la lutte des classes et la lutte des sexes, les rapports de domination-soumission, l’humiliation, la violence et l’extravagance, le tout avec une certaine légèreté, strass, paillettes et blagues de mauvais goût comprises, pour créer un ballet solo où chaque geste sera accompagné d’un souffle, d’un cri, d’un hoquet, d’un halètement ou d’un miaulement, dans une partition textuelle et chorégraphique totalement over the top.

Il s’agira pour nous d’imaginer le film de Verhoeven comme un focus sur la performance d’Elizabeth Berkley comme si elle avait joué seule tous les personnages, avec une seule voix, une seule bouche. Comme dans Not I, toujours de Beckett, les voix se recouvreront et se bousculeront, n’en devenant qu’une, déversant un torrent de mots. Verhoeven venait titiller un nerf sensible chez les américains, Beckett insistait sur le fait que Not I devait jouer sur les nerfs du public: notre Showgirl fera ainsi le lien entre Paul Verhoeven et le théâtre de l’absurde.

SCÉNOGRAPHIE

Goddess, le show du Stardust dans lequel Nomi Malone danse, a pour décor un paysage volcanique duquel nous nous inspirerons pour la scénographie: un volcan-mamelon qui crachera de la lave pailletée. Cette femme-volcan qui compte bien grimper en haut de l’échelle sociale, entrer en éruption, et faire cracher le Piton (de la fournaise) nous rappellera ce sur quoi est assise l’humanité à Las Vegas: un sous-sol prêt à rentrer en éruption et à ravager tout sur son passage, éradiquer par le feu et la poussière toute forme de vie alentour, en faire des œuvres d’art pour la postérité à la manière des corps statufiés de Pompéi, et engloutir le reste.

image tirée du film Showgirls de Paul Verhoeven (1995)
© Paul Verhoeven

Ce volcan aura la forme d’un mamelon pour rappeler le décor de Oh les beaux jours, où une femme déblatère, notamment, sur la vacuité de l’existence, semi-enterrée dans un désert représenté par «une toile de fond en trompe-l’œil très pompier», et dont l’inspiration première serait peut-être une photo d’Angus MacBean représentant une star américaine des cabarets londoniens dans les années 30, Frances Day, ensevelie dans un panier enterré à qui une main tend un miroir (voir page précédente). Le texte de Beckett, comme le film de Verhoeven, est écrit staccato, dirigé par des didascalies qui entrecoupent la parole sans cesse, imposant un rythme à l’actrice (ou l’acteur) qui le joue. Pour décrire ce dans quoi est enterrée son héroïne, Beckett utilise le mot mound, traduit dans la version française par le mot mamelon, qui est également un terme issu du champ de la vulcanologie, décrivant un amas de lave en forme de sein, un monticule mammaire en quelque sorte.

Il dévoilera en son intérieur une évocation de Las Vegas, son boulevard des casinos, ses hôtels, ses néons, comme dans le premier plan de Blade Runner, mais aussi le volcan du Mirage Hôtel: à la manière des poupées russes, comme une boîte à musique infernale, une maison de poupée du vice, un club miteux de Las Vegas où la barre de pole dance traditionnelle prendrait des proportions démesurées.

MUSIQUE

La musique sera confiée à Julia Lanoë, aka Rebekka Warrior (Sexy Sushi, Kompromat, Mansfield Tya), une grande parolière au lyrisme trash à qui l’univers de Showgirls ne fait pas peur. Julia Lanoë compose depuis de nombreuses années une œuvre radicale, engagée, féministe et hilarante. Comme l’écrit le journaliste JD Beauvallet, sa musique, «qualifiée d’électroclash ou de techno-punk, évoque avant tout des thèmes sexuels mais aussi politico-sociaux, portés par des textes crus, proches d’une certaine forme d’anarchisme et de dadaïsme». Elle prendra pour nous la suite de David Stewart (Eurythmics) qui avait composé la bande son du film de 1995.

portrait de la musicienne Rebeka Warrior, © Théo Mercier/Erwan Fichou
© Théo Mercier/Erwan Fichou

STYLISME

Le maquillage, les coiffures et les costumes, seront imaginés et réalisés par Jean-Biche, artiste multi-disciplinaire qui a grandi dans le monde de la nuit, travaillant aussi bien en tant que DJ, performer, styliste, maquilleur, graphiste. Aujourd’hui habitué des projets singuliers, il a collabore aussi bien avec Paco Rabanne, Michele Lamy, Jean-Paul Gaultier que Brice Dellsperger, Philippe Decouflé & Damien Jalet, en passant par le Crazy Horse ou encore le Manko Cabaret pour lequel il a été artiste résident durant les 4 années d’exploitation. Avec Showgirl nous resterons dans l’esthétique de Verhoeven tout en essayant de la magnifier et de la moderniser. Son film étant une des incarnations du style «camp» au cinéma, style prisé des travestis et des drag-queens, il nous a semblé incontournable de s’adresser au spécialiste qu’est Jean-Biche.

portrait de l'artiste Jean-Biche, DR
© DR

Jonathan Drillet & Marlène Saldana

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