Requin-note d’intention

20 mars 2023

« Aujourd’hui je me noie. Il ne s’agit pas d’une allégorie, je me noie dans l’eau verte d’un lac artificiel situé dans les environs de Dijon. Le récit exact de ce qu’auront été les quinze derniers jours de ma vie n’apporterait aucun éclairage sur les circonstances de ma noyade.»

morsure 

GENÈSE DU PROJET 

Échoué dans un vide-grenier de Montreuil, anonyme au milieu des bavardages vaporeux, des fripes molles et des livres négligés, ce Requin-là me saute aux yeux. Je le vois, comme on reconnaît un être familier. Alors, je sors 1 euro et l’emporte. 

Transporté sous mon pull comme un trésor silencieux à protéger de la pluie, il n’allait ouvrir sa gueule que plusieurs mois plus tard. Heureusement, sinon il m’aurait dévoré la poitrine, serré sous le pull. 

Requin s’est ouvert un soir d’hiver, depuis, je n’arrive plus à le refermer. Il m’a saisie à la gorge et ne me lâche pas. Je porte sa morsure, comme une blessure poétique, impossible à cicatriser. 

Prise dans le vortex de ce livre fascinant ; je veux partager la sensation déclenchée par sa lecture, en l’amenant sur scène. 

Partager les mots d’un auteur qui raconte l’histoire d’un homme parti se baigner dans les eaux mornes d’un lac artificiel, et qui n’en reviendra pas. Car oui, c’est l’histoire d’un homme qui quitte les certitudes terrestres pour aller « là où autre chose commence ». C’est l’histoire d’un accident, d’une crampe absurde, d’un choc élémentaire ; une pétrification en eaux troubles. Un candidat à la noyade prend le large. C’est le hasard qui cloue sa tourmente une fois pour toutes, dans le coeur d’un lac placide. 

Voici le récit impromptu d’une vie trouée de honte, qui se diluera dans les profondeurs secrètes de sa propre confession. Alors qu’il sombre, c’est sa mémoire tourmentée de topographe taciturne, qui refait surface. 

Cet homme qui n’est pas moi ; l’histoire de sa lente disparition, de son invisible trépas ; la discrétion presque risible de son enfouissement ; cette histoire incongrue qui pousse sous la plume de Bertrand Belin : je les reçois de plein fouet, comme fouette la vague. 

C’est peut-être parce que je suis née presque noyée – arrivée sur Terre trop tôt, les poumons emplis d’eau après avoir bu la tasse dans le ventre salé de ma mèr(e) – que je vibre au récit de cette mort en direct. Profondément remuée par les lames de fond de ce roman, je m’abandonne à sa beauté singulière, à son humour dérisoire. 

Paradoxalement, c’est parfois lorsque l’on n’a plus pied, que l’on trouve l’inspiration. Après tout, comme l’écrit Bertrand Belin : “Rien ne soulage mieux de la mort que de mourir en acte”. 

Et au théâtre, le phénix est Roi.

© Cie du squale

Visions et intentions

ADAPTATION 

Faire glisser Requin de la page aux planches consiste d’abord à en adapter le format en procédant à des coupes. Il s’agit d’élaguer certaines parties du roman, tout en conservant la structure ondulatoire du récit, afin de suivre les courants d’une pensée envoûtante, prise dans les courants de l’onde. En focalisant sur certains épisodes, en ciblant un événement plutôt qu’un autre, je dégagerai une forme calibrée pour sa transmission orale. L’adaptation permettra de repérer puis choisir les motifs obsessionnels de l’écriture afin qu’ils reviennent hanter le plateau en imprégnant un mot, un geste, un regard, une lueur, un son.

La partition scénique ainsi dégagée de sa matrice originelle, intègre les actions du personnage de L’Homme, auxquelles s’ajoutent celles des deux présences additionnelles que propose mon adaptation, sous les noms du Nixe et du Garçon. Cette conduite, répertoriant un maximum de phénomènes scéniques – y compris les évènements sonores, chorégraphiques et lumière principaux – sera le guide du travail préparatoire, mené avec les concepteurs.

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