Premier amour – Note d’intention

23 mars 2022

Premier amour. Deuxième spectacle auquel nous collaborons artistiquement. Le travail des répétitions a été mené jusqu’à la date des représentations, puis, c’était janvier 2021, les portes des théâtres étaient fermées aux spectateurs. 14 mois et plusieurs vies après… quelques jours pour se retrouver, s’entendre et s’accorder, dans ce lieu, dans cette salle de théâtre, et vous y accueillir ce soir.

Premier amour. Un homme, chassé à cause de sa différence et isolé. Est-il un simple d’esprit ? Un benêt ? Un crétin ? Quelque chose de la sorte ? On ne veut pas de lui et on s’en débarrasse plutôt mal que bien. Les siens ne le veulent pas. Il est cause de dégoût et d’animosité, il n’est pas désiré, on ne veut rien de lui. On prend ses biens. On considère que cet être ne peut rien apporter et qu’il est nuisible à l’intérêt de tous. On s’autorise l’inadmissible car il est différent et on l’exclut de tout.

Premier amour. C’est l’histoire d’une rencontre entre deux êtres. Celle d’un déclassé à la recherche d’abri et de nourriture et d’une femme dont on ne sait d’elle que ce qu’il nous en dit. Il parle des autres ainsi : « les autres gens ». Fou ? Autiste ? Sans intérêt pour la société.

Sa pensée, à la première personne, nous parvient comme une chose rare.
Un objet précieux. Témoignage exceptionnel de la nature humaine et de son ressenti. De nos faiblesses et de notre fragilité. Et paradoxalement de ce qui fait notre force et qui compose l’existence.

Pour certains il est une erreur.

 

Folie. Pour avoir vu Athéna nue, Tirésias fut rendu aveugle. Tout être qui voyait une divinité contre sa volonté perdait la vue. Pour le consoler, Athéna lui donna le langage des Dieux et ainsi le don de comprendre les animaux et leur savoir du passé et du futur. Elle lui donna le pouvoir de se déplacer comme s’il avait des yeux et le droit de vivre durant sept générations – il paraîtrait que son don de voyance se transmet de génération en génération. Il devint l’un des devins les plus célèbres de la mythologie grecque.

Un jour, Liriopé vint consulter Tirésias à la naissance de son fils, Narcisse, et lui demanda si l’enfant vivrait longtemps :

Il vivra longtemps à condition qu’il ne se voit jamais.
ou – selon les versions – :
Il vivra longtemps s’il ne se connaît pas.

Narcisse tombe amoureux de sa propre image dans l’eau. Deux versions pour une même conclusion : la réflexion de Narcisse est cause de sa perte.

Tirésias est l’opposé de Narcisse. Il ne voit pas son reflet puisqu’il est aveugle et ne se perd pas en réflexions puisqu’il est devin.

Donc oui, Narcisse tombe amoureux de sa propre image, ou plutôt de lui-même, et en meurt. De lui ou d’un autre, ce qui importe c’est la passion qu’il est capable de vouer à son amour. Son Premier amour va le perdre dans sa passion et le rendre fou.

Qui voudrait se passer du Premier amour et de la passion qu’il fait naître ?

 

Lorsque Jérôme Lindon lit Premier amour laissé dans un tiroir par Beckett, il lui propose de mettre au propre le texte. Beckett dira « c’est à partir de là que j’ai découvert ma folie et qu’il me fallait écrire comme tel et ne chercher ni à me normaliser ni à normaliser mon écriture ».

 

Premier amour. Ce pourquoi nous sommes là aujourd’hui.

Il y a le silence. Il y a l’espace. La lumière. Il y a un acteur et le texte de Beckett. Dans le désir de donner forme dans le temps de la représentation à l’inaudible et l’invisible au moins autant qu’à ce qui se voit et s’entend aisément. À partir du silence, donner forme et vie au moment scénique. Un moment partagé avec les spectateurs.

— Xavier Fernandez-Cavada & Barbara Baker

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