Ode à la solidarité et à l’empathie

03 octobre 2022

Après This is not a love song et la thématique de la communication dans les relations amoureuses, Lola Giouse explore les rapports amicaux dans Lust for life. Il y est question d’empathie, d’écoute et de solidarité, avec l’écriture toujours aussi fine de Lola Giouse. Un coup de cœur à voir à Saint-Gervais jusqu’au 9 octobre.

À l’arrivée du public sur la terrasse de la Réplique, les quatre comédien·ne·s nous attendent en échauffant leurs voix sous la bâche tendue et sur laquelle est représentée ce qui est sans doute le logo du groupe : un smiley avec deux bras, un œil en forme de cœur et l’autre en croix. Et pour cause, iels vont interpréter un morceau composé par Fribourg (Martin Perret), le batteur. « Ce sera le tube de l’automne ! » nous dit Gégé (Géraldine Dupla), « Ah oui, Fribourg, c’est un génie, vous allez voir ! » renchérit Chouchou (Cédric Leproust). Le guitariste Saumon (Simon Hildebrand) n’en peut plus d’attendre, lui non plus. Après quelques consignes sur ce que doit chanter le public, les voilà qui entonnent leur chanson We’re here. Seulement voilà, bien vite, Gégé se rend compte qu’il y a un problème. Fribourg n’est pas dedans : il ne se sent pas bien, n’a pas envie. Alors, pendant une heure, iels tenteront tant bien que mal de l’aider à aller mieux, s’appuyant sur leurs propres expériences. Pour ne pas laisser tomber leur ami, pour le soutenir coûte que coûte.

De la simplicité à la sincérité

Il y a, dans l’écriture de Lola Giouse, quelque chose de l’ordre du très simple : des mots de tous les jours, pas de terme grandiloquent, une écriture sincère pourrait-on dire. Ainsi, on n’a pas l’impression de faire face à des personnages de théâtre, mais bien à des êtres humains, comme vous et moi, qui nous font face. Iels bafouillent, se répètent, s’embrouillent dans leur propos… Il leur arrive même de ne pas terminer leurs phrases, et pourtant, on les comprend. Cette écriture « vraie », appelons-là ainsi, crée un sentiment de proximité et d’empathie avec les quatre personnages de Lust for life. On retrouve ainsi ce qu’on avait déjà adoré dans This is not a love song : une libération des émotions qui touche en plein cœur. Et avec elle, des valeurs loin du narcissisme ambiant des réseaux sociaux. De l’empathie, de la solidarité, une volonté de s’entraider, d’être les un·e·s pour les autres, de se dire qu’on s’aime.

Pour autant, et c’est là que l’écriture et la mise en scène de Lola Giouse excellent, on ne tombe pas dans le pathos, dans le cliché de la déprime. À travers ses personnages profondément humains, elle ajoute quelques touches de légèreté bienvenues : celui-ci qui tient des propos maladroits, celle-ci qui, ne sachant plus que faire, tente de faire rire Fribourg en imitant la mouette, le troisième qui rappelle un souvenir qui n’a rien à voir. D’un œil extérieur, ces situations ont quelque chose d’assez cocasse, et elles empêchent de tomber dans un sentiment qui ne serait que de la tristesse. L’écriture parvient ici à trouver le juste milieu entre le rire et l’émotion, avec toujours cet élan de sincérité devenu la marque de fabrique de l’écriture de Lola Giouse.

Parce qu’on va tous mal, à un certain niveau

D’apparence, on croirait que Fribourg est le seul à exprimer son mal-être. Pourtant, à mesure que les autres tentent de lui remonter le moral, on voit poindre une déprime qui touche tout le monde, à des niveaux différents, avec une réaction propre à chacun·e. Et tou·te·s auront leur moment de monologue pour l’exprimer tout en essayant de trouver un moyen d’aider Fribourg avec sa propre expérience et son rapport à la tristesse. Saumon est le premier à prendre la parole, en vantant les vertus du silence et du temps : voilà un long blanc qui s’installe, pour tenter de laisser passer l’émotion. Mais rien n’y fait, alors il imagine une manière de se changer les idées, en allant se balader, à la mer, espérant voir quelque chose qui ferait changer l’état de son ami, comme lui quand il a vu un cerf pour la première fois. Gégé, dans ce qui était sans doute le moment qui m’a le plus touché, tente de lui faire voir la beauté du monde, l’imaginant sourire face à telle ou telle situation, avant de basculer dans un discours plus engagé qui reprend les thématiques du spectacle : empathie, amitié solidarité. Un moment de sincérité bouleversant. Reste Chouchou, silencieux pendant une bonne partie du spectacle, mais qui finit par exploser. Sa technique à lui ? S’énerver contre Fribourg qui « se fout de leur gueule » avec cette attitude, rappelant qu’on va tous mal, mais qu’il faut se bouger pour y faire face. Rapidement dépassé par ses émotions, c’est de lui qu’il finira par parler, osant dire des choses qu’il ne dit pas en temps normal, exprimant ses sentiments…

Mais les mots ne sont pas seuls maîtres de ces valeurs transmises par Lust for life. Du moins pas que les mots prononcés. Fribourg a pris le temps d’écrire sur sa solitude et, seul face au public, il dévoile petit à petit ses mots, sans rien dire, dans un silence qui laisse place à l’émotion. Avant d’aller s’exprimer derrière sa batterie, faisant sortir sa tristesse et sa rage. Comme pour nous dire qu’on n’est pas obligé de parler, mais que le corps aussi peut exprimer des choses. Il y a quelque chose de l’ordre du cathartique dans ce qu’il fait. Et l’on ressent alors profondément le titre du spectacle, Lust for life, cette furieuse envie de vivre… Et les mots de la chanson de Fribourg commencent à résonner avec plus de force : « And so is the world, with you all around. So let’s go through life dancing to this sound. You’re here / we’re here. »

Fabien Imhof

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