Makers – Origines du projet

25 octobre 2021

« … Il avait entendu des histoires compliquées, qu’il a reçues comme il a reçu la réalité, sans se demander si elles étaient vraies ou fausses. »
— Jorge-Luis Borges, El Hacedor

Juan Loriente et Oscar Gómez Mata, deux acteurs, deux créateurs et poètes. Les deux pensent la scène comme une réalité dans laquelle on recoit un mystère. Il sagit de jouer entre étonnement et innocence, de travailler sur ce qui existe et sa face B, le rêve.

Ils sont deux détectives du « réel » et plus concretement de l’idée que l’on se fait de la vérité.

Nos Makers perçoivent la vérité comme une idée politique pour la construction d’une réalité à venir: le rêve de construire en faisant la lumière. Faiseurs de lumière, de temps et d’amour.

Le projet prend comme point de départ l’histoire d’Agustín Fernández Mallo El Hacedor dans lequel les sujets sont la réalité et le temps qui prend forme dans la lumière.

Le théâtre, c’est ça : toujours réel, toujours vrai, et à la fois, son contraire. Le temps est la clé ultime qui définit la qualité de ce qui est partagé. Et à la fin de tout, ce qui est laissé est un acte d’amour.

Arrêtons de croire que l’on va sauver le monde
Sauvons le monde

Nous sommes ici dans l’espace de vérité. C’est là, tout ceci est né d’une anomalie. Nous travaillons beaucoup à partir de ça, la surprise, l’étonnement.

Parce que notre devise, à nous, les makers c’est : on fait avec ce qu’on a.

Nous partons de nos expériences, le hasard est la base de notre travail, nous lui donnons sens. Tout comme avec le cadre, nous avons un cadre, c’est notre cadre.

La pièce

Une pièce sur le temps, la lumière et l’amour
Un mélange d’affirmations et de questions liées et en mouvement continu
Une pièce sur ce que nous faisons et comment nous le faisons, sur fond d’anomalie.

La lumière crée le temps et la réalité
L’amour c’est la chute
L’espace c’est le rêve

Exister en tant qu’individu pluriel et multiple qui ne se préoccupe pas, qui déborde et qui n’est pas déterminé par la routine que crée la résignation, ni par ce qui est utile ou impossible : un utopiste, un être résolument libre.

Un enfant, un enfant qui nous sauve, qui nous sorte de notre réalité, du ventre de la baleine.

Plonger avec enthousiasme dans l’anomalie. S’y fondre pour se sauver.

ll repensa alors à Marguerite Duras lorsqu’on l’interrogea :
Détruire, pour mieux reconstruire ?
Et qu’elle répondit :
Peut-être, mais plus tard, après un immense bain d’ignorance et d’obscurité…

Il se dit alors qu’il y avait quelque chose de profond et de triste dans cette manière d’affirmer notre échec. Quelque chose de profondément triste et sans solution, il était dans l’ignorance et l’obscurité. Et il se dit :

Que la lumière soit !

30 km à l’ouest de Genève, à la frontière franco-suisse, à une centaine de mètres sous terre, se trouve l’accélérateur de particules LHC, la machine la plus grande jamais construite, intégrée dans le CERN, l’Organi sation européenne pour la recherche nucléaire, la cathédrale pour les scientifiques du monde subatomique. Un anneau de 27 km de circonférence, avec une partie annexe extérieure composée d’une multitude de couloirs en béton, bureaux, salles de repos, entrepôts, ascenseurs et salles à manger, un ensemble qui configure un labyrinthe compact et excentré, conceptuellement baroque. Les dimensions sont d’une telle envergure que ce fut là-bas où l’on inventa le world wide web (www) afin de pouvoir faire communiquer les centaines de personnes qui l’ha bitent. Quand la nuit est dégagée, les satellites pointent la planète et il est possible de voir depuis le ciel les lumières qui dessinent un grand cercle sur la surface terrestre. En dessous, à l’intérieur de l’anneau, des jets de particules subatomiques, accélérées à des vitesses proches de celle de la lumière, sont projetées dans des directions opposées par des aimants qui les font entrer en collision en un point, c’est alors qu’une multitude de détecteurs enregistrent ces chocs, ces accidents d’où émergent d’autres particules, jusque là cachées, et qui nous donnent un aperçu de ce qui était l’Univers il y a des millions d’années, lors du Big Bang (L’Univers avant qu’il n’y ait eu L’Univers). Les détecteurs du CERN rendent compte de tout ça, oui, mais ils le font de la même façon qu’un innocent peintre du 18ème aux intentions portraitistes rendrait compte d’un visage ou d’un paysage, imparfait et figuré : L’archétype du rêve de construire La Réalité. Parce que ce qui s’est passé a disparu pour toujours, et chaque fois que quelqu’un meurt, ne meurent pas seulement son avenir et son passé daté dans l’album-photo familial, mais aussi tout ce qu’un jour il a contemplé et qu’il a retenu pendant de brèves secondes dans sa rétine sans que la mémoire réussisse à l’enregistrer. Quand deux jets de protons entrent en collision pour voyager à l’origine du temps et briller là-bas pendant un dixième de seconde avant de retourner mourir dans le puit du présent, ce qui périt est cette vision d’un temps que seulement ces protons ont contemplé, un temps violent, solitaire, linéaire et moralement neutre, que ni les machines ni les hommes n’arriveront jamais à connaître. Brille ainsi dans cette machine la première salive du Temps, comme le fait une pièce de monnaie sous la pluie acide, ou la nuit quand elle distribue le hasard. Tu arrives avec une robe à fleurs, je suis couché dans un jardin, tu sautes un muret, et après un autre muret, et une suite de murets qui ont la même hauteur – c’est étrange car dans les rêves il n’y a pas deux fois le même obstacle, et tu me dis à l’oreille : As-tu déjà fait la lumière ?

— Agustín Fernandez Mallo

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