Pour la troisième saison consécutive, la Pépinière collabore avec la Maison Saint-Gervais et propose des reportages autour des créations de la saison.
En guise de premier reportage de la saison, nous avons eu l’occasion de rencontrer Matteo Venet et Alex Dujet, les deux graphistes qui œuvrent depuis six ans pour créer toute la communication visuelle du Théâtre.
En arrivant devant l’endroit où travaille Matteo, on est surpris de voir que le lieu abrite plusieurs disciplines artistiques : graphisme, design de vêtement, tatouage… À l’image de la Maison Saint-Gervais, le lieu foisonne de créativité ! C’est donc dans un bureau situé à l’arrière du salon que je retrouve Matteo et Alex, avec qui je passe plus d’une heure, durant laquelle ils me racontent leur parcours et comment ils sont devenus les graphistes attitrés de Saint-Gervais.
Tout commence en 2018-2019 lorsqu’un concours est lancé. Alex et Matteo, qui se connaissent depuis les Arts déco, décident de collaborer sur ce projet comme ils l’ont déjà fait sur d’autres. Les deux indépendants associent leurs forces et le Théâtre Saint-Gervais devient alors leur premier gros client. L’occasion est parfaite pour Matteo qui cherchait à se lancer en tant qu’indépendant à ce moment-là. Tout s’est donc fait assez naturellement.
Une identité à définir
La colonne vertébrale de la charte graphique imaginée par le duo est la typographie, créée spécialement pour l’occasion et utilisée exclusivement pour l’institution. Nommée « SG Vox », soit la voix de Saint-Gervais, elle se base sur des caractères typiques des années 60, comme Brazilia ou Antique Olive. SG Vox résonne avec l’esprit brutaliste du bâtiment, emblématique de la période, sans être nécessairement beau. En composant les visuels à partir de cette typo, ils créent certaines frictions dans les compositions, n’hésitant pas à imaginer des visuels en décalage, avec cette irrévérence un peu « punk », qui résonne bien avec la volonté de Sandrine Kuster, directrice des lieux.
D’une saison à l’autre, la typo est composée différemment, en utilisant différentes graisses, en la déformant la typo, mais elle reste l’ADN de la charte graphique. Tout évolue donc d’une saison à l’autre, tout en conservant ce que leur inspirent les particularités du bâtiment : des designs dissociés, avec des rénovations par endroits qui créent un espace tout à fait singulier, parfois totalement déstructuré.
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Pour les 3 premières années, ils ont collaboré avec des photographes, afin de créer pour l’occasion des images fortes. Un gros travail autour du traitement de l’image est ainsi effectué, pour créer une ligne graphique cohérente, une forme de langage. Notons ici que la direction leur laisse carte blanche, bien qu’un discours se forme petit à petit, à force de discussion avec le pôle communication de Saint-Gervais. Sandrine Kuster et les membres de l’équipe leur laissent ainsi une grande liberté, leur permettant un large espace d’expression. Un vrai privilège que d’avoir eu cet espace, et de pouvoir imaginer des supports aussi nobles que les affiches F4 imprimées en sérigraphie.
Une évolution au fil des ans
Chaque année, les deux graphistes réfléchissent donc à une trame pour la saison, en imaginant des brochures différentes. Durant leur première saison, lors de laquelle ils ont collaboré avec le photographe Nicolas Haeni, chaque image comportait une touche de vert, couleur pourtant maudite au théâtre, alors que la couverture de la brochure se dépliait pour devenir un poster.
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La seconde saison, avec une carte blanche au photographe parisien Hubert Crabières, s’est développée sur un format de la brochure inspiré directement et imprimé sur une presse rotative, comme les brochure de publicité tout ménage que l’on reçoit sans rien avoir demandé, en décalage total avec la proposition culturelle qui en est le sujet…
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Pour la troisième année, la volonté était de rendre hommage au bâtiment et à ses recoins farfelus, la vie , les activités très variées dans tous les espaces. Les graphistes voulaient montrer ce que le public ne voit jamais à travers une exploration très libre du bâtiment, avec la photographe Raphaëlle Muller. Ambiance de vidéo-surveillance, objets incongrus, semi-installations trouvées ou crées pour l’occasion…
Chaque année, donc ils fabriquent des affiches, ce qu’ils désignent comme le plus beau support dans leur métier, et aussi l’exercice le plus stimulant. Chaque affiche est ainsi vue comme une œuvre à part entière. Chacune est à la fois liée à la pièce qu’elle décrit et guidée par un canevas plus strict, qui crée une forme de discours sur la saison. Les affiches montrent donc une certaine homogénéité avec une grande part de flexibilité. En imaginant ce système assez strict, Alex et Matteo se donnent un espace de liberté sur d’autres aspects. Au fil du temps, ils ont ainsi créé de nombreux outils – artifices graphiques, textures, manières de composer le texte, de traiter les images… – dans lesquels ils peuvent piocher au fil du temps, pour remiser l’identité et la renouveler, tout en gardant la spontanéité qui fait la force de leur duo.
La saison Maison
Cette saison, le Théâtre Saint-Gervais, à l’occasion de son soixantième anniversaire, a décidé de revenir aux sources et de se renommer en Maison Saint-Gervais. Comment imaginer un graphisme dans la droite ligne de celui des années précédentes, tout en s’inspirant de cette nouvelle thématique ? Premier point essentiel : le néon sur la façade. Alex en est particulièrement fier, le Théâtre se démarquant dans le paysage du quartier grâce à cela.
La question s’est donc posée de comment représenter l’idée de maison. Matteo et Alex ont choisi de jouer sur la dualité entre le théâtre et la vraie vie. Ils ont ainsi pris des images « fausses », à savoir des images de synthèses utilisées habituellement par les architectes, dans des publicités immobilières ou encore dans des jeux vidéo. À nouveau, ils ont utilisé un langage graphique emprunté à un autre monde, celui du commerce pur et brutal.
Tout est complètement fake, plus vrai que vrai et plus faux que faux. Les objets sont magnifiés. Pour pousser encore plus cet aspect, ils ont détouré les acteur·ice·s de la saison pour en faire également objets, jetés dans cet univers totalement factice. Le tout amène à une forme d’hyperréalisme où tout est plus vrai que vrai et plus faux que faux, a-t-on envie de marteler. C’est donc l’idée de la maison qui est mise en avant, plutôt que la maison elle-même. Le côté faux est totalement assumé, en utilisant des supports habituellement employés dans un but commercial, créant un décalage total entre ce milieu et celui de la culture.
Cette saison marque donc un énorme tournant après cinq très martelés en typo. La nouvelle ligne graphique donne une impression de quelque chose de « plus calme, plus lisse », les images sont bien séparées de la typo. Tout comportera un aspect plus digital : exit les affiches sérigraphiées, le papier sera brillant, tout sera plus « slick », moins organique qu’auparavant. Avec ce passage au numérique et au digital, il n’y aura plus de photographe associé au projet, ce qui créera une nouvelle boîte à outils, différente de celle avec laquelle ils travaillaient jusqu’à présent. Il faut aussi penser que l’impression digitale propose des couleurs moins pures, mais la possibilité d’imprimer les images en quadrichromie est un avantage certain !
Comme chaque année, ils vont donc chercher l’effet de surprise sur chaque affiche, malgré le côté systématique, qui peut évoluer en cours de saison. Ils remettent ainsi constamment leur système graphique en question, avec une évolution toujours présente, pour éviter une trop forte rigidité et avoir une fluidité. Comme le théâtre, ils se renouvellent sans arrêt et s’inspirent beaucoup du travail des artistes, dans l’organisation et l’utilisation de l’espace ! D’ailleurs, peut-être avez-vous vu passer le tram avec le bandeau de la Maison Saint-Gervais ?
Fabien Imhof
Photos et designs : © Matteo Venet et Alex Dujet