Le Grand Dancing – Note d’intention

30 novembre 2021

LA COMPAGNIE

Notre rencontre artistique s’est produite lors d’un concours de projets théâtraux à Perm, en Russie, en juin 2014. Nous avons été invités comme metteur en scène et dramaturge pour créer une esquisse d’une demi-heure en une semaine.

Nous avons écrit, avec la collaboration des acteurs russes, une forme courte adaptée de Pulp Fiction de Quentin Tarantino, faisant intervenir des interviews du cinéaste, d’autres personnages connus comme Madonna ou Anton Tchekhov, ou adaptant quelques scènes du film.

Notre esquisse a été primée par le jury et le public et nous avons eu la chance de pouvoir en faire une version longue qui est encore jouée à raison de deux à trois fois par mois depuis une année au Théâtre de Perm, intitulée Tarantino Shake.

Nous avons découvert, durant ce travail, une grande complicité dans l’écriture et avons décidé de poursuivre cette expérience à quatre mains en créant Milkshake dans le cadre de Midi théâtre en 2018.

Le corps comme un stylo bic

Acteurs de formation, nous envisageons le texte comme une matière que les comédiens doivent s’approprier. Nous écrivons en pensant à la mise en scène, le corps est donc pour nous mis à contribution à la base même du projet.

LA DANSE

Le Grand Dancing est un titre à plusieurs significations. D’abord, bien sûr, c’est le grand dancing de la vie, celui qui nous fait valser. Nous pouvons voir notre existence comme une grande soirée dansante, avec ses moments de défoulements, ses slows, ses rencontres et ses solitudes mais aussi ses fantasmes et ses réalités. Comme dans le troisième acte de la Cerisaie, les gens se croisent, se parlent, mais sans grande incidence. On danse ou on joue à danser comme dans Pulp Fiction ou on regarde encore les autres danser, comme dans Louxor j’adore de Philippe Katerine.

La danse et l’écriture ont également des similitudes : il faut s’occuper du rythme, du mouvement, se faire léger tout en prenant son ancrage loin dans le sol et puis enchaîner sans se perdre.

Enfin, la danse au sens propre est présente dans le spectacle. Nous écrivons en pensant directement à la façon de mettre en scène, et lions certaines scènes à des danses différentes. Par exemple, le twist de Pulp Fiction se fait présentation de groupe, une interview de Philippe Katerine finit en slow avec son intervieweuse ou un dialogue tchékhovien naît d’un Madison de fin de soirée.

Photo du spectacle Le Grand Dancing de Virginie Schell et Julien Basler, © Laurent Nicolas

LA SCÉNOGRAPHIE

Ainsi, après un prologue, la première scène du spectacle se fera entre dialogues, pas de danse à la façon d’une comédie musicale et mise en place de la scénographie. Ils construiront en direct un petit dancing, avec ses lumières intégrées, sa piste de danse, etc. Ainsi, tous les éléments seront modifiables par les protagonistes, montant, démontant, transformant leur aire de jeu. Ils vont scénographier l’espace au fur et à mesure, c’est à dire littéralement, l’écrire.

C’est Zoé Cadotsch, avec qui Julien Basler collabore depuis près de quinze ans, qui est en charge de la scénographie.

LA FICTION EN JEU

Ce qui nous pousse à mettre en scène ces différentes couches de narration, allant de l’acteur sur un plateau à une fausse scène moliéresque en passant par une interview ou le récit d’un film, c’est le besoin de questionner la fiction, et en miroir, la réalité, avec un des outils les mieux appropriés pour cela: le jeu. Le jeu, s’entendant autant comme le jeu d’enfant que comme l’espace existant entre deux éléments. Ainsi les comédiens jouent à être tous ces «personnages», à traverser tous ces univers, qui eux-mêmes jouent les uns avec les autres, tout comme l’avant-bras joue avec le biceps, grâce à son articulation, ou peut-on dire grâce au «jeu» qui les fait bouger l’un par rapport à l’autre.

Le théâtre, l’endroit du jeu par excellence, est le parfait médium pour mettre ces strates en tension. Un acteur qui dit «Je suis un acteur et je suis sur cette scène devant vous.» est-il vraiment dans une dimension que l’on peut appeler «réalité», ou est-ce une copie de la réalité qui nous est présentée? Et si ce même acteur dit «Je m’appelle Quentin Tarantino» un peu plus tard, ne le croit-on pas autant que quand il se nommait par son vrai nom? La convention théâtrale fait qu’il suffit de dire la chose pour qu’elle soit, pour que tout le monde «joue le jeu». Par contre, à notre sens, si l’on essaie vraiment de faire croire, au premier degré, avec force d’artifices, à un personnage ou à une situation, il est beaucoup plus difficile pour le spectateur d’avoir la place de se créer sa propre fiction. Là encore, entre le public et l’œuvre, il faut du jeu : une distance nécessaire pour que le mouvement entre ce qui est produit et ce qui est reçu ait lieu.

L’AUTEUR, UN ANIMAL ÉTRANGE

Qu’est-ce qu’un auteur, au-delà du cliché du solitaire devant sa page blanche cherchant l’inspiration? Quelles formes prend l’écriture ? Quand et comment écrit-on ? Pourquoi quelqu’un cherche-t-il à mettre en forme ses pensées, ses idées? Qu’espère-t-il dire de plus? Pense-t-il se sauver, sauver le reste d’humanité en lui? Ou est-ce une sorte de malédiction, d’addiction à la création? L’auteur restera toujours un mystère, même pour ceux qui écrivent. C’est un être qui semble à part du monde, réussissant à capter son essence et à la cristalliser. Mais l’écriture est aussi une pratique, concrète et répétitive.

Les auteurs que nous mettons en scène comme des personnages, sans jamais les singer ni les imiter, nous en admirons le talent, mais c’est dans leur part humaine, parfois un peu ridicule, égocentrique ou fragile que nous allons chercher la substance de notre spectacle. Nous n’utilisons quasiment aucun des textes des auteurs que nous traitons. Bien sûr, leurs œuvres nous guident dans nos choix, mais nous écrivons une pièce originale en partant d’eux, nous ne faisons pas un mixage de leurs textes. Nous nous basons sur des interviews, des citations, parfois des récits de scènes.

— Julien Basler, Virginie Schell

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