Cette saison, dans le cadre d’un partenariat, la Pépinière produit des reportages sur les créations programmées au Théâtre Saint-Gervais afin de documenter les méthodes de travail des artistes.
À un peu moins de deux semaines de la première, la Cie En Déroute continue son aventure, perchée au dernier étage du Saint-Gervais. Bientôt, vous pourrez découvrir l’univers sonore, musical et textuel d’Un jeune homme trop gros, projet scénique porté par Jean-Louis Johannides. Mais en attendant…
… en attendant, Jean-Louis Johannides gonfle de drôles de marshmallows géants, légers et tout blancs. C’est ainsi qu’il m’accueille, un jeudi après-midi de février, tandis que quatorze heures sonnent à peine au clocher du petit Temple de Saint-Gervais, cis à deux pas de là. Anxieux, Jean-Louis ? « Pas vraiment. C’est le 10 mars que ça commence et, pour l’instant, c’est un peu ambivalent : la date semble à la fois très proche… et très lointaine. »
En attendant, ça ne semble pas le déranger, ni entamer sa bonne humeur. De concert, nous gonflons les fameux marshmallows. Fabriqués pour l’occasion par une entreprise spécialisée dans les décors gonflables, ils formeront l’ossature onirique de la scénographie. L’idée ? Qu’ils soient légers comme des bonbons, aussi mobiles que l’air. « Ce sera le support de l’imagination du public. » Empilés en structures précaires, montagnes-labyrinthes qui cachent par intermittence une guitare, un micro, des amplis, les marshmallows tanguent au moindre souffle, au moindre pas. Et s’ils s’effondrent pendant la pièce ? « On fera avec ! » Voilà qui pourrait même amener un peu de piquant à l’affaire. Sur leurs contours immaculés, la lumière danse et se faufile avec douceur, créant instantanément une ambiance nouvelle, au gré de la couleur choisie par l’éclairagiste, Luc Gendroz. Ça fait déjà rêver ! « Notre but, c’est de montrer en suggérant, sans imposer. » Support à texte, support à rêve, je me réjouis de voir ce décor prendre tout son sens le 10 mars.
Les marshmallows ne sont pas la seule nouveauté : « il y a aussi les maquettes, regarde. » Une maison de maître taille poupée (réplique de Graceland), dans laquelle le salon d’Elvis (le personnage central d’Un jeune homme trop gros, texte du romancier Eugène Savitzkaya) apparaît par une fenêtre ouverte. Un coffret à bijoux en bois, dans laquelle ce même salon se déploie en plus petit. Une boîte d’allumettes, qui renferme le même salon, plus minuscule encore. Si leur utilité scénique n’est pas encore très claire, ces maquettes d’une blancheur fragile m’évoquent immédiatement Proust et la clôture du fameux épisode de la madeleine, lors duquel Marcel expérimente le lien entre perceptions sensorielles (le goût) et mémoire involontaire :
« Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celle du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »
Voilà où en est pour l’heure la Cie En Déroute : au déploiement onirique de l’univers scénique dans lequel le public sera bientôt plongé. Musique, sons, texte, décor – chaque élément attend encore, en gestation dans la tasse à thé du théâtre, pour lentement s’harmoniser aux autres et se déplier comme le Combray dans la mémoire de Proust. Vivement le 10 mars !
Magali Bossi
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