La Possession – Note d’intention

12 octobre 2021

Pour moi le théâtre c’est cette expérimentation éternelle d’« être autre », de pouvoir un instant croire et faire croire qu’on est un ou une autre. Se dédoubler. Avoir en soi une partie qui reste, qui s’accroche à quelque chose et une autre qui devient justement autre, qui se transforme. C’est le monstre qui est en nous que j’essaie de dessiner. Monstre à la fois d’horreur et de comédie, les deux genres étant d’ailleurs souvent liés.

Je voudrais savoir s’il est possible d’épouvanter au théâtre, de faire dresser les cheveux sur la tête comme cela arrive parfois au cinéma ou dans la vie. Et pour cela j’ai besoin d’une fiction et de croire à cette fiction. Écrire pour le théâtre qui est pour moi à la croisée du cinéma d’horreur et de l’art contemporain. Convoquer des corps vivants et des choses, des objets, des lumières, de la scénographie, en faire l’art mort-vivant par excellence.

J’ai besoin d’un double mouvement, penser la pièce d’abord en tant qu’auteur, sans penser à la mise en scène puis m’en saisir comme s’il s’agissait d’un auteur mort ou d’un manuscrit anonyme que j’aurai reçu. Etre l’auteur sans metteur en scène, être le metteur en scène de la pièce d’un autre. Me dédoubler là encore.

La question du double, du dédoublement est ainsi ce qui fait le centre de mon travail et de ce projet en particulier. Une femme veut sortir d’elle-même, elle veut se recréer.

Nous vivons dans une société rationnelle où tout se prévoit, se calcule par algorithmes, se décide de manière automatique. Nous devrions donc être rassurés, tout se passera bien, tout est sous contrôle, tout est programmé, rien n’apparaîtra de manière imprévue et pourtant… Notre monde est hanté.

Dans un monde sans Dieu, sans châtiment divin et sans vie après la mort, où l’autre monde a disparu, il faut que tout arrive ici et maintenant et si cela ne se passe pas, si nous ne parvenons pas à nous « réaliser » alors nous nous retrouvons seuls face à nos échecs, seul avec ces fantômes d’une vie possible, la vie des autres qui eux ont réussi.

Nous ne fuyons plus les fantômes, nous leurs courrons après.

Les fantômes ne sont plus les « revenants » d’un autre monde mais plutôt nos désirs non réalisés, nos projections de la vie rêvée des autres, nos impossibilités, nos doubles manqués, nos impasses… Face à nos échecs.

François-Xavier Rouyer

EXTRAIT

Soit une femme. Une femme qui va mal. Vous en avez en face de vous cette personne.
Dans sa vie il y a encore peu de temps tout allait bien ou quasi. Tout allait bien au sens où on ne s’en rend pas compte quand on le vit mais seulement une fois que c’est parti. Ce genre de bonheur là.

Elle a eu une enfance heureuse. Elle a fait des études très bonnes.
Au collège et au lycée tout allait bien.

Après elle a fait des sciences politiques.
Et tout était bien.
Elle était bonne pour les autres. Elle était généreuse.

Elle n’était pas compliquée.
Elle a eu une bourse.
Elle s’est spécialisée dans le droit économique.
Après on lui a proposé un stage dans une grande entreprise libérale mais elle l’a refusé.
Elle a eu une intuition.
Elle a voulu faire du théâtre, être comédienne mais ça n’a pas duré. Alors elle cherchait un métier où elle serait créative.
De la photographie, du graphisme ou peut-être du dessin, du design. Elle se posait des questions. Après ça elle n’a plus trop su ce qu’elle voulait faire. Alors elle a pris une année sabbatique comme ça se faisait à l’époque pour se donner le temps. Elle est partie en Australie, elle y a vu les aborigènes, les plages, les kangourous bien sûr plus gros qu’elle ne pensait, l’opéra de Sidney mais elle a préféré Canberra. Elle est revenue, elle était contente de son voyage, à un moment elle avait loué un van avec des gens rencontrés ça et là et qui voyageaient pour des raisons similaires et ainsi ils se regroupaient sous la communauté dite des bagpackers.

Là-bas, elle avait eu une aventure avec un Coréen qui voyageait aussi en van et se posait aussi des questions mais ça n’a pas duré. Quand elle est rentrée, elle a passé des entretiens.

Elle a eu un travail.
Elle a fait sa vie.
Et puis il y a eu la crise.
Il s’est mis à pleuvoir sur sa vie. C’est ce temps-là dans lequel elle se trouve maintenant.

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