À mon arrivée au Théâtre Saint-Gervais, en ce vendredi après-midi, l’équipe s’apprête à commencer sa pause. J’en profite donc pour m’entretenir avec Julie Bugnard, l’une des porteuses du projet, avant d’assister à l’après-midi de répétition. L’ambiance est détendue, l’équipe rigole et parle d’une émission sur le saumon, bien que le stress commence à monter à quelques jours de la première. Julie m’explique donc que le spectacle avait été co-écrit avec Isabela de Moraes. Cette dernière ayant accouché il y a un mois, elle ne pourra pas être sur scène. Depuis un mois et demi, elle collabore donc avec Angèle Colas pour la création du spectacle. Si ce sont elles qui seront sur la scène, la troupe est complétée par Isumi Grichting, qui signe la collaboration artistique, le regard extérieur, aide à la mise en scène. Bref, elle fait un peu tout, me confie Julie. Christian Cordonier participe également à la collaboration artistique. Lauriane Tissot signe la création lumière, alors que Tobias Lanz s’occupe de la création sonore. La scénographie a été imaginée par Maged El Sadek, qui exerce en parallèle le métier d’architecte. On citera enfin Lucien Rouiller, qui participe à l’aventure en tant que coach vocal. S’il s’agit de la première création de cette compagnie, elle s’insère dans le Collectif du Multivers, qui réunit plusieurs troupes, au sein desquelles différent·e·s protagonistes travaillent ensemble, s’échangeant les casquettes, toujours accompagné·e·s par une équipe technique de professionnel·le·s.
De la salle de répétition au plateau
Depuis un mois et demi, Julie et Angèle travaillent dans la salle de répétition du sixième étage. Ce n’est que cette semaine que la scénographie a pu être montée. Elles ont donc travaillé sans depuis le début et, inévitablement, beaucoup de choses ont changé dans leur interprétation. Des éléments qu’elles avaient imaginés fonctionnent moins bien que prévu il faut donc réadapter certaines choses tout en créant le son et la lumière. Le matin, avant mon arrivée, l’équipe a donc travaillé au plateau. L’après-midi doit débuter par des discussions autour des sons et des lumières, avant un filage de la première partie, d’environ 40 minutes, pendant que Lauriane et Tobias encodent le son et la lumière. S’il reste du temps à disposition, iels entameront également la deuxième partie du spectacle.
Dans sa manière de travailler, la compagnie Your mom called the other day (but you weren’t home), aime s’appuyer sur de grandes thématiques, comme l’amitié ou le fantasme. Leur objectif et de procurer des émotions au public, en laissant aux spectateur·ice·s le soin de prendre ce qu’iels ont à prendre. Le fait de passer par des histoires permet cela, avec des thématiques présentées de manière souterraines, sans tout donner ou souligner certains éléments. Leur démarche consiste à proposer un théâtre lofi. Inspiré du mouvement punk lofi, cette forme de théâtre cherche à montrer la beauté qui se trouve entre l’idée et le geste artistique[1]. Dans You’re just like a poster, la compagnie cherche à travailler sur les tensions entre ailleurs et ici, entre le fantasme et le réel, avec toujours cette volonté de raconter des histoires. C’est ainsi que Julie et Angèle nous emmèneront dans une comédie musicale située, dans la première partie du moins, à bord d’un vaisseau spatial. Elles ont toujours aimé s’inspirer du cinéma de genre et des codes prédéfinis, en proposant une base commune pour le public, mais aussi pour pouvoir travailler avec ces codes, les dériver ou au contraire les pousser à l’extrême.
Travailler le son et la lumière
Après la pause, place à deux moments de discussion, avec Tobias, pour le son, puis Lauriane, pour la lumière. Concernant le son, il s’agit de calibrer les musiques et autres interventions sonores, pour qu’elles correspondent à ce qui est joué sur la scène, de manière à habiller le moment. Avec Tobias, et accompagnées d’Isumi, elles reprennent donc la trame de la première partie et les effets souhaités. On réfléchit alors à quels moments il faut ajouter des sons, et surtout lesquels, pour créer une certaines images et marquer certains moments. Il faut aussi décider quelles notes seront réutilisées, pour créer une forme de symbolique, une bulle sonore. On en profite pour passer en revue ce qui fonctionne déjà bien, par rapport aux précédents essais. Dans une dimension plus technique, il s’agit aussi de trouver les tops, qu’ils soient donnés par un geste sur scène pour déclencher un son ou inversement. Quelques tests sont ensuite effectués avant le filage, notamment pour fixer les timings, gérer les micros, en allumant celui qu’il faut au bon moment, en activant également les effets selon la chanson interprétée…
La lumière doit aussi jouer son rôle pour donner certains effets : il faut choisir si les plans seront resserrés ou plus larges, comme au cinéma, quelle ambiance – couleurs, intensité… – correspondra à quel moment. On réfléchit aussi aux lumières plus chaudes ou plus froides, aux bascules entre les deux. Sans compter qu’il faut aussi caler les timings avec le son, dans une véritable collaboration entre ces deux dimensions. Alors, on reprend les étapes qui jalonnent la première partie du spectacle, revenant aussi sur les précédents essais, on réfléchit aux parties de la scène à éclairer, comment, pourquoi… Un autre élément important, et qui est d’ailleurs testé avant le filage, concerne les raccords entre les scènes : il faut enregistrer les bons timings et les bons réglages pour que la trame soit bien cadrée.
Un filage avant de partir
En débutant le filage, on se concentre sur les transitions, la trame générale et les points discutés avec le son et la lumière. Durant le filage, on entend les réactions de Lauriane si une lumière n’est pas bien calibrée, pas encore encodée comme elle le souhaiterait. Ce moment lui permet, ainsi qu’à Tobias, d’effectuer des ajustements, des éventuelles corrections, de voir ce qui fonctionne ou non dans le flot du spectacle. Les deux communiquent ainsi beaucoup, et il faut calibrer les lancements des bons sons et des bonnes lumières au bon moment.
Le filage se termine avec la transition vers la deuxième partie et le changement de décor à vue. Une fois le nouveau décor en place, il sera question de rediscuter de la mise en scène, puis de la lumière et du son. Chacun·e fera son retour, avec des modifications qui surviendront sans doute, avant d’entamer la deuxième partie. Pour la découvrir, il ne nous restera plus qu’à assister à une représentation, entre le 20 et le 27 mars prochain.
Fabien Imhof