Iels viennent d’arriver à la Maison Saint-Gervais, le décor est en place et l’équipe technique s’occupe des lumières. Il reste une semaine de répétitions avant d’entrer en jeu devant le public. Je rencontre Emilie Cavalieri, après cette première journée au théâtre, pour nous dévoiler un processus de création qui explore l’émotion et qui est au cœur de Ainsi soit-Elle, à découvrir du 20 au 25 mai.
Au commencement, un solo
Le théâtre débute, pour Emilie, au lycée. Elle entre ensuite à la Manufacture, pour trois ans. C’est à ce moment qu’elle réalise qu’elle a, véritablement, envie non seulement d’en faire son métier mais aussi de défendre, au sens large, le théâtre. Très vite, elle souhaite poursuivre la recherche débutée avec son travail de Bachelor. Elle retravaille alors la matière rassemblée et présente au festival d’émergence C’est déjà demain 11, Qu’Elle en soit ainsi un solo de 40 minutes. Encouragée, soutenue et accueillie, notamment par la Maison Saint-Gervais, le Pommier et le 2.21, elle imagine une suite à ce solo qui se métamorphose enduo et devient, à travers un temps de création, Ainsi soit-Elle, une pièce d’une heure vingt dans laquelle elle explore la liberté d’être soi mais aussi le regard de l’Autre.
Un regard sur soi
La création a lieu au Pommier à Neuchâtel, et dans ce passage du solo au duo, le comédien Nicolas Roussi, diplômé des Teintureries, rejoint Emilie au plateau pour une première collaboration. Il est l’Autre et son regard, celui qui vient troubler, et aussi interroger, ce qui s’est installé dans les premières minutes, et qui est le solo original : dans l’espace intime d’un studio (espace imaginé et réfléchi avec la complicité d’Alexandra Lapierre), une femme est seule, loin de tout regard et de tout jugement, qu’il s’agisse du sien ou de celui des autres, et elle vit ses émotions, et leur expression, sans limite. « Elle est libre de choix, de plaisir et de désir » jusqu’au moment où surgit la présence de l’Autre. Avec cette pièce, Emilie continue de questionner quelque chose qui, depuis son Bachelor, suscite son intérêt et sa curiosité : qu’est-ce qui fait que l’on est aussi pudique dans l’expression de nos émotions ? Il sera alors question de faire voir la différence, réelle, qui existe en nous, une sorte de fossé, entre ce que nous pourrions faire, et ce que nous faisons ou montrons au dehors, à l’Autre, à la Société.
D’impro en impro
Le spectacle n’est jamais passé par l’écriture. Tout s’est passé, dès le départ, au plateau, sans carnet ni stylo, juste en improvisation. A la fois en jeu et à la mise en scène, Emilie a proposé deux questions pour guider le processus : « Qu’est-ce que j’ai envie que la femme ressente et qu’est-ce que j’ai envie que le public ressente? »[1]. Iels ont alors cherché ensemble des actions logiques pour susciter telle ou telle émotion dans un contexte donné, sous l’œil extérieur de Camille Mermet (et plus tôt dans la création du solo celui de Naïma Perlot-Lhuillier) ainsi que celui d’un téléphone portable. Iels ont en effet beaucoup travaillé en se filmant et en visionnant leurs impros, avant de retourner au plateau. L’improvisation n’est pas seulement un outil de création, c’est un procédé et processus qui demeure présent en jeu sur scène. L’envie étant de ne pas reproduire chaque soir le même spectacle que la veille, mais de l’oublier, pour créer quelque chose de nouveau, où l’émotion n’est pas jouée ou feinte mais réellement ressentie. Iels savent où iels vont et connaissent les étapes du spectacle, mais les actes et les mots utilisés ne sont pas déterminés par avance. Chaque spectacle a alors son rythme propre, et reflète à la fois quelque chose des comédien·ne·s à un moment donné mais aussi, et surtout, du public. Emilie, en utilisant l’improvisation, défend un théâtre de chair, de corps et d’émotion, qui s’éloigne d’une logique de la raison. Elle permet d’être au plus présent de soi et du public, en limitant une situation de pouvoir qui peut s’installer entre la scène et la salle. Elle propose alors une expérience commune, une première fois tous·te·s ensemble. Utiliser l’improvisation redessine l’idée que l’on peut se faire également des répétitions. Le but d’un tel temps devient alors de trouver la liberté et le confort de l’espace, et de dégourdir la créativité et l’imaginaire. L’improvisation ne s’arrête pas au jeu des comédien·ne·s, elle est aussi présente pour l’équipe technique (Jonas Bühler pour la création lumière et Florian Gumy à la régie), et offre la possibilité de créer avec elle un nouveau rapport, qui ne se fonde plus sur des tops, mais sur une présence à ce qui se passe et à ce qui arrive sur l’instant.
Rendez-vous à la Maison Saint-Gervais dès le 20 mai prochain pour vivre avec elleux cette expérience, à la fois quotidienne, et extraordinaire, d’un théâtre qui explore nos émotions.
Charlotte Curchod
Infos pratiques :
Ainsi soit-Elle de Emilie Cavalieri et Nicolas Roussi, du 20 au 25 mai 2025 à la Maison Saint-Gervais.
Mise en scène : Emilie Cavalieri
Avec Emilie Cavalieri, Nicolas Roussi
Création lumière : Jonas Bühler
Regard extérieur : Camille Mermet, Naïma Perlot-Lhuillier
Régie : Florian Gumy
https://saintgervais.ch/spectacle/ainsi-soit-elle/
Photos : ©Caroline Perrenoud
[1] Les propos cités dans cet article ont été recueillis durant la rencontre avec Emilie, le 13 mai 2025.