Armer la rage – Atelier d’écriture

27 février 2024

Dans le cadre du spectacle Chienne de Fabrice Gorgerat, adaptation du texte de Marie-Pier Lafontaine, un atelier d’écriture est proposé en compagnie de la comédienne et metteure en scène Mathilde Morel. Découvrez ci-dessous deux textes écrits durant cet atelier.

 

   

Putain de lino

Je pousse la porte d’entrée
Je me réjouissais presque de rentrer
Prendre un peu l’air un peu le temps
L’air de rien
Je pousse presque la porte d’entrée
Un air de chez soi un air de connu
Peut-être un jour reconnue
J’ai dit que j’arrêtais de n’être pas sûre de moi alors
Je pousse la porte
D’entrée je le vois
Ce putain de lino est encore là
Ce lino qui hante du sol au plafond
Mon coeur en carton en mousse
En éponge qui imbibé de produit vaisselle
Dégouline entre mes doigts lorsque je le serre
Ce putain de lino est encore là
De mauvais goût mais pourtant bien au jour
Un vert douteux rayé de lignes rouges qui donnent la nausée
Pire qu’au réveil de la teuf samedi passé
Putain de lino je pose mon sac par terre
Les clés ma veste
À peine un regard que j’ai déjà envie de gerber
Le salon est là comme je l’ai quitté
Les tasse les clopes le CD la couverture mal pliée
Je fais un pas de plus
Sur ce vert
Vert nausée et
Mon soulier reste collé
Je reste figée là je ne peux plus bouger
Avancer ou repartir dedans dehors dedans dehors
Va-et-vient je vais je viens tu viens
Attends j’y viens
Les joins jaunis de ce putain de lino gondolé
Commencent à se soulever des hauts le coeur
Rivés en point de fuite
Celle que je ne peux pas prendre car
Mes souliers restent collés
Ça monte ça tremble ça donne des sueurs
Froides comme le cendar la bise les vents les dernières fois
Les lignes de ce putain de lino me rendent folle
Folles elles viennent sur moi
Me traversent et s’agrippent à mes jambes
À mes veines à mes peines
Sautent à mon cou
Soudain tout se serre
Mes intestins mes poumons
Elles lacèrent mes bras
Je sens mon pouls plus fort
Dans ma gorge aucun son
Ne pourra jamais sortir
Sortir de là mon corps se tord
À tort et à travers
Des lignes rouges
De la pièce et
Des mes lettres sans adresse
J’essaie de me débattre mais
À aucun débat je n’ai été bonne
Bonne à tirer sur la corde
À serrer le poing
Dans ma poche
Il me reste un chewing-gum
Pour mâcher mes mots
Si je pouvais t’arracher putain de lino
Je le ferais avec les dents s’il le faut
Que j’y perde des nuits
Que j’y perde des ami·e·x·s
Ne m’oublie pas je t’en prie
Par la fenêtre je brûlerais
D’abord le tapis et tant puis
Pour la déco putain de lino
Je t’arracherais avec les ongles s’il le faut
Que je m’y crée des ennuis
Mes ongles de lesbienne coupés trop courts
J’en aurais pour des jours
Mais ca fait trop années
Des années et je suis épuisée
Je t’arracherais avec mes poings putain
Sonnette d’alarme lance incendie
Tôt ou tard tu vas voir
J’en aurais le courage
J’en ai trop vu trop bu je me suis trop tue
Et cette fois je n’en peux plus

Margaux Huber

 

La possibilité du « IL » 

On entre, il y a ce petit lac à l’intérieur. Bleu glacial. On enlève la casquette, nos chaussettes. J’enlève le masque. Non. On enlève le masque. Il tombe le masque. « JE » entrera plus tard, c’est trop tôt on repousse l’entrée de « JE » dans l’eau. ça caille, on gèle. Le pieds d’abord, marne, conglomérat, grès, jolis galets, de l’eau bleue jusqu’au tibias cette fois. On marche, on creuse ensemble mais on s’enfonce. L’eau jusqu’à la chatte, ça fait mal comme ça? Puis les bras, épaules coup glotte, bouche gout de chiotte mais jusqu’où on ira. On entre, entière pas peu fière, on voit sous le bleu! On respire sous l’eau, un sas, on s’efface. On est sous l’eau. Les cheveux derrière à la traine, pas les poils, non pas de poils, les cheveux derrière nagent mieux que nous. Ça s’ouvre, on entre, on tombe glisse coule c’est grand, ciel terre, sous la mer une rivière? Des grands gestes, l’eau est froide presque piquante puis plus chaude puis brûlante. On se laisse prendre. 

Puis moins d’eau. 
Puis plus d’eau.
Un bouleau. Le tronc blanc contre la peau qui pèle aussi, et saigne entre les orteils. 
On est encore toutes ensemble, on arrive juste devant. Petit chalet verte prairie autour, le bouleau, plein jour, un banc, un tas de pierre on shoote dedans. Un caillou vole jusqu’à la fenêtre pète un carreaux. On respire. On s’allume une clope, 15 clopes, on a le temps. On le sent on a peur tremble au fond dessous, la peau sous les ongles, la paupière, la poussière dans le nombril. On a le temps, on n’est pas pressées, on avale la fumée. Il y a du bruit dedans. 

Il y a ce petit chalet 
Putain, il pleut sous le bleu 
Il y a ce petit chalet et il pleut sous le bleu. 
Je lève la tête et constate les nuages noirs qui ne ternissent pas le bleu.
« JE » entre dans l’histoire au moment de constater les nuages. Je vois les nuages noirs qui ne ternissent pas le bleu. 
J’ouvre la porte et là le lit et il fait nuit. « Elle » entre dans le récit au moment du lit. Elle me fixe je la regarde. Il n’y a rien autour, mais il pleut dedans. Pas de rideaux, pas de commode, rien au pied du lit, ni extas, chocolat ou Temesta, elle dit qu’elle va me montrer. Qu’elle sait bien le faire et que je n’ai qu’à regarder.
Je pose un orteil d’abord, merde y’a même pas de draps le matelas tu te fous de moi juste un doigt? Les deux pieds, les deux mains à 4 pattes j’entre dans le lit. Tu allumes la lumière, tu veux voir. « TU » entres dans l’histoire à ce moment, au moment où tu veux voir. Tu me dis que tu m’aimes. (Tu dis que tu ne va pas la toucher si je ne le veux pas.) Je te dis vas-y. Tes désirs devant moi derrière dessous, serre mon cou. Tu me dis que tu m’aimes et moi je te crois. 
Tes doigts glissent sur un autre ventre et ça clignote dans le mien, putain ça coule dedans, putain je me bats dedans, putain ça déborde dedans. 

On entre y’a plus de « JE » y’a plus de jeu, y’a même pas d’île

On sort y’a plus de « TU » y a plus que « Il ». 

Le même « Il » que celui de: il est six heures du mat’, il fait froid, il pleut.

Ce site web utilise des cookies.