Cette saison, dans le cadre d’un partenariat, la Pépinière produit des reportages sur les créations programmées au Théâtre Saint-Gervais afin de documenter les méthodes de travail des artistes.
Au Théâtre Saint-Gervais, le printemps est prolifique ! Ritournelle sera sur les planches du 17 au 22 mai, dans la salle du 2e sous-sol. En attendant, la troupe s’approprie les lieux… dans un espace d’une blancheur éclatante.
Finie, la salle de répétition du 6e étage ! L’équipe de Ritournelle, composée de Julien Meyer (mise en scène), Lucas Savioz (jeu) et Mael Godinat (musique), a rejoint le plateau… et ça fait du bien ! En cet après-midi ensoleillé, ils se sont réfugiés dans la pénombre de cette salle enterrée. Au programme ? La mise en place de l’incipit de la pièce, entre ajustement de jeu, prise en main de l’espace et réflexion autour de la lumière.
Exposition… ou page blanche ?
Le texte de Ritournelle est l’adaptation de Faim, un roman du Prix Nobel norvégien Knut Hamsun, publié entre 1888 et 1890. C’est Lucas Savioz qui en incarne le protagoniste, un jeune écrivain sans le sou… le voilà projeté, au début de la pièce, dans une sorte de hall d’exposition. Le plateau, entièrement blanc, évoque par son épure certains musées d’art contemporain – le MoMA de New York, le MAMCO de Genève. Comme jetés un peu au hasard, on y trouve des instruments de musique, mis en évidence sur des structures d’exposition aussi blanches que le sol : une batterie, un harmonium, une organelle, un saxophone…
Lucas déambule entre eux, au fur et à mesure qu’il raconte. Dans cet espace, qui tient autant du musée presque vierge que de la page blanche, il dessine à travers les mots de Knut Hamsun une ville, un destin – une espérance. Avec humour, il évoque sa situation précaire de jeune écrivain à Oslo, les gens qu’il croise et qu’il s’amuse à faire tourner en bourrique, ses projets d’articles (de quoi être payé ! de quoi manger ce soir !)
Mais, très vite, Julien Meyer le reprend. Un jeu d’ajustement complexe se met alors en place : c’est qu’il faut s’habituer à ce nouvel espace, plus grand, plus aéré que la salle de répétition. Reprendre ses marques, au milieu de tout ce blanc. Donner un sens aux déplacements, sans que cela paraisse artificiel. Et l’heure tourne, tourne et tourne – est-ce qu’on va être prêt ?
Jeu de lumière
Un des grands enjeux pour Ritournelle, cet après-midi-là, est de régler les éclairages de ce début de pièce. C’est, entre autres, le travail de Florian Bach. Comment faire ? Au moment où j’arrive, une poursuite est mise en place : la lumière doit suivre les déplacements de Lucas, sans cesse piégé dans le faisceau d’un blanc lumineux. Voilà qui confère au personnage un petit côté dessin animé – qui fait écho à l’humour piquant que Lucas intègre dans sa gestuelle et son débit.
Seulement, ça ne marche pas : plutôt que de faire corps avec l’acteur, de lui servir de guide ou d’amie, de partenaire de jeu, la lumière de la poursuite courate derrière lui, sans parvenir à anticiper ses déplacements. Comment y remédier ? « Essaie de lui indiquer à l’avance l’endroit où tu vas », suggère Julien. « C’est toi qui la guide, comme si elle devait te suivre. » « Je la guide ? » lance Lucas, un peu perplexe. « Tu la guides. » Le texte reprend, les gestes s’enchaînent, les mimiques du protagoniste répondent à ses mots… et ça marche ! La lumière obéit à Lucas, bondissant là où il l’envoie – ce qui crée un décalage humoristique avec le texte. On est dans la caricature, le dessin animé, le clownesque ! Un lien commence réellement à se tisser entre l’acteur et sa poursuite, un pas de deux où l’un guide l’une… mais où l’une se permet, parfois, de n’en faire qu’à sa tête.
Qui sait où cet essai emmènera Ritournelle ? On se réjouit de le découvrir !
Magali Bossi