3 questions à… Maya Bösch

16 septembre 2021

Comment est né ce projet ?

Alors ce projet est né par hasard. J’avais des rendez-vous à Strasbourg et je suis passée par ma librairie à Genève, où je passe beaucoup de temps. Je demande qu’on me donne un livre pour ce voyage que je dois faire de Genève à Strasbourg. Et elle me donne, de manière spontanée, Manuel d’exil de Velibor Čolić. Et je lis ce livre dans le train, Genève-Bâle, Bâle-Strasbourg… Je lis le livre en entier. Et je me suis marrée ! En fait, c’est aussi triste que drôle, et j’étais extrêmement touchée par cette histoire vraie, donc son autobiographie – évidemment une fiction dans le sens où c’est de l’écriture –, mais c’est la vie de l’auteur qui écrit et qui m’a, avec le bruit du train et cette sensation de voyage entre Genève et Strasbourg, portée par ce jazz, blues, cette tristesse particulière, cette autodérision, cet humour de ce migrant. Parce qu’il raconte toute son histoire de l’ex-Yougoslavie, comme soldat dans l’armée pendant la guerre, il est devenu déserteur, et il part en France. Il part en France pour lutter, pour devenir un écrivain, pour être avec la grande littérature française. Bref, le bercement de cet écrivain balkanique, qui déjà écrit en français dans Manuel d’exil, m’a extrêmement touchée.

J’arrive à Strasbourg pour des rendez-vous au théâtre, et puis déjà là le soir j’ai évoqué son nom pour savoir si on le connaissait. Personne ne connaissait ce nom, « Velibor Čolić ». La nuit même que je passe à Strasbourg, je cherche à lire sur l’auteur, je me demande si je dois contacter Gallimard, car je voulais juste le rencontrer. Finalement, je le trouve sur Facebook, je lui envoie un message – je sais pas à quelle heure –, pour lui dire « Je viens de lire votre livre, est-ce que ce serait possible de se rencontrer ? ». Après Strasbourg, j’avais un voyage à faire à Paris, et je lui dis « dans quelques jours, je serai à Paris », persuadée qu’il habitait à Paris. Le lendemain, je retourne à Genève, et Velibor me répond en me disant que ça lui faisait grand plaisir que je vienne de lire son livre, et que évidemment on peut se rencontrer… sauf qu’il n’habitait pas à Paris, mais à Strasbourg ! Et je me dis « Mince ! ». Alors je vais à Paris pour mes rendez-vous le lendemain, je reviens à Genève, je prends mon billet et je retourne à Strasbourg pour rencontrer Velibor Čolić.

Ce qui est intéressant aussi, comment est né ce projet, c’est un livre qu’on m’a donné dans mes mains, et c’est extrêmement rare que ça me donne un tel choc, un tel enthousiasme ou clarté ou évidence qu’il fallait faire ça maintenant avec Jean-Quentin. Parce qu’on était déjà en train, Jean-Quentin et moi, après le travail en 2016 sur un film, de vouloir faire quelque chose ensemble, et avec Jean-Quentin déjà pendant un an j’ai cherché vraiment des textes pour Jean-Quentin, pour ce que je connais de lui comme acteur. Aussi ce rapport extrêmement fin et particulier sur des écritures de langue sophistiquée, j’étais donc parmi des grands auteurs de la littérature française, et avec ce Manuel d’exil finalement, j’ai osé proposer ce projet à Jean-Quentin, et il a dit oui. Ce projet est né aussi dans les gares. Pour moi à Genève, Bâle, Strasbourg, avec ce Manuel d’exil entre mes mains. Ensuite Paris et retour à Strasbourg pour rencontrer l’auteur, c’est aussi une atmosphère qui existe fortement dans le roman.

Que se passe-t-il sur scène ?

On découvre un homme. Un acteur, Jean-Quentin. Un homme, un migrant, un cavalier léger, Shéhérazade. On découvre un homme tout seul, capturé dans un monde qui va beaucoup trop vite pour lui. Où il essaie de rester, comme un migrant. La lutte, la bataille du migrant, c’est de rester. Et c’est cette lutte, extrêmement sensible, de ce personnage qui arrive dans un univers qu’il ne comprend pas. Et cet univers le heurte, le provoque. Il n’est pas à sa taille, il ne trouve pas sa place. Il se sent comme une anecdote, une insulte, une gifle sur l’humanité. Mais il essaie de se débrouiller là-dedans, de trouver son rythme, et surtout son écriture.

Trois mots pour décrire le spectacle ?

Déroutant, radical et intime. Déroutant dans tous les sens du terme. Déroutant par le texte, par la voix, par le rythme, par cet univers, ce décor, cette scénographie, ce monde qui tourne autour de ce personnage qui est Velibor Čolić lui-même. Radical dans le sens aussi de « profond ». Et intime.

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