3 questions à… Jonathan O’Hear & Laura Tocmacov-Venchiarutti

20 septembre 2021

COMMENT EST NÉ LE PROJET DE FESTIVAL AIIA ?

Jonathan : Il est né de deux manières…

Laura : La première manière c’est plutôt au niveau de la fondation impactIA. On a, ces dernières années, fait beaucoup de conférences autour de quels étaient les enjeux de l’intelligence artificielle, comment ça allait impacter la vie et le travail des gens, et puis on s’est rendu compte qu’on touchait toujours un même type de public, déjà convaincu. En tant que fondation, notre mission est vraiment d’être plus global et d’impacter la société à un large niveau. À ce moment-là, en discussions, on s’est rendu compte que probablement un des meilleurs moyens pour approcher l’impact de l’intelligence artificielle était de passer par le biais de l’art pour faire comprendre les défis et les enjeux de l’IA au travers de quelque chose qui était accessible et une porte d’entrée pour un public très large en fait.

Jonathan : Pour moi, ça a commencé un peu plus tôt, dans le sens où ça a commencé avec la création du projet DAI, un projet de performeur à intelligence artificielle, et c’est là que s’est faite la rencontre avec la fondation impactIA. On a utilisé DAI dans pas mal de situations de médiation pour parler de l’arrivée de l’intelligence artificielle, des enjeux sociaux de l’arrivée de cette nouvelle technologie. Ce qui était intéressant pour nous, c’était l’idée qu’on pouvait questionner ça autrement, sortir des questions classiques de l’éthique de l’intelligence artificielle. À travers l’art, en discutant avec d’autres artistes, à travers les rencontres avec des scientifiques autour d’un projet artistique, on arrivait à aborder les questions de nouvelle manière. C’était une manière moins « technologique », ou en tout cas ouverte et accessible à tout le monde, de pouvoir entrer dans le débat autour de l’arrivée de cette nouvelle technologie.

À QUOI DOIT S’ATTENDRE LE PUBLIC QUAND IL VIENDRA À AIIA ?

Jonathan : Ce qu’on espère, c’est organiser un festival « non-technologique ». Ça veut pas dire qu’il n’y aura pas de technologie du tout, bien sûr il y en aura, puisque c’est quand même de la collaboration ou du questionnement autour de l’intelligence artificielle. Mais les questions et les propositions artistiques ne sont pas nécessairement technologiques. Ce qu’on sait de l’arrivée de chaque grande disruption technologique, c’est que les questions éthiques sont souvent les mêmes, et elles sont toutes fondamentalement humaines. C’est ces questions-là qu’on veut explorer. 

Laura : Je pense également que le public doit s’attendre à rencontrer l’intelligence artificielle d’une façon différente et amusante, et à pouvoir se dire « tiens, il y a des choses que je comprends, des choses que je ne comprends pas, pourquoi pas venir avec des amis, avec mes enfants… ». Et puis, pouvoir rencontrer ça d’une autre façon que le côté très classique qui nous est envoyé par les journaux, et pouvoir amorcer une discussion par la suite, dans son environnement proche. Donc c’est vraiment plus une rencontre autour de quelque chose qui est de l’ordre de différent, d’amusant et d’artistique. 

Jonathan : Oui, parce qu’une des choses qui est apparue dans ce projet DAI de performeur à intelligence artificielle, c’est que toutes les grandes questions finissaient par être autour de l’humain. L’origine de la vie, qu’est-ce que c’est la créativité, comment est-ce qu’on peut parler de conscience, comment est-ce qu’on peut imaginer créer une conscience si on ne sait même pas vraiment la définir… Donc on est toujours dans des grandes questions qui n’ont pas forcément de résolution, mais c’est une manière qui me convient en tout cas de les explorer, puisque c’est à travers quelque chose de concret. Quand on essaie de tendre vers un performeur à intelligence artificielle, on se retrouve à devoir concrétiser la théorie autour de ces questions. Et ça, c’est fascinant, c’est cet aspect-là qu’on espère partager avec le public. 

Laura : Ce qu’on a déjà vu jusqu’à présent, c’est lorsque DAI est là, il suscite plein d’émotions positives ou négatives, et c’est vraiment un booster de réflexions. C’est vraiment là-dessus, si on peut s’appuyer sur quelque chose, on peut voir des artistes, on peut les questionner sur ce qu’ils font, sur pourquoi ils font, qu’est-ce que ça a suscité comme questionnements chez eux. C’est là que tout commence à se passer, la magie de comprendre l’intelligence artificielle arrive. 

Jonathan : C’est juste, et là on a invité quatre artistes qui sont « non-technologiques ». Ce n’est pas qu’ils n’utilisent pas de technologie du tout (aujourd’hui ça paraît improbable), mais ils ne sont pas dans la lignée de l’art-intelligence artificielle, ou la technologie n’est pas forcément un axe principal de leur travail. On se réjouit de leur proposer une « boîte à outils » de création avec l’intelligence artificielle, avec laquelle ils vont interagir pendant une résidence de cinq semaines avant de nous dévoiler, sous forme de performances, de compositions, d’objets d’exposition… Ce qu’ils voudront, comme ils le voudront. Je pense qu’avec ces quatre artistes là ce sera pour le moins surprenant ! 

Laura : Et puis automatiquement, quand on a réfléchi avec ces artistes-là, on s’est aussi rendu compte qu’on devait, en parallèle à la performance artistique, mettre des réflexions. Donc les conférences qui sont autour de tout ça seront aussi des moments-clés où les gens vont pouvoir se perdre, de « je suis allé-e voir une expo, je suis allé-e voir une performance, j’ai commencé à réfléchir, ah tiens il y a tout à coup un sujet qui focus sur cet impact-là ! » Est-ce qu’il faudrait plus de femmes dans l’intelligence artificielle ? Est-ce que la créativité et la conscience et l’intelligence artificielle amènent des enjeux ? Qu’est-ce que ça fait pour la propriété intellectuelle ? Qu’est-ce que l’intelligence artificielle, l’art et les industries créatives, ensemble, peuvent nous amener ? Tout à coup ça nous est apparu très pertinent de mettre ensemble et la réflexion, et les performances artistiques, pour qu’on puisse avoir ces deux allées et venues, ces deux danses entre les deux.     

Jonathan : Du coup, ces artistes-là, il s’agit de Maria Sappho, de Cléa Chopard, de Brice Catherin et de Joël Maillard, pour les nommer ! [Ndlr : Maria Sappho et Brice Catherin travailleront de concert sous le nom hybride de Mariabrice Sapphocatherin] En-dehors de cela il y a aussi des conférences qui sont organisées avec des conférenciers d’à travers le monde, pour avoir un peu les questions internationales. Mais on essaie d’avoir des intervenants au moins en partie locaux pour avoir les réponses locales, parce qu’on pense que même si ces questions sont globales, souvent les réponses qu’on devrait y apporter ou la manière dont on devrait les appréhender c’est toujours un peu plus spécifique à une région ou un pays.  

Laura : L’autre point, c’est un peu la façon de faire de la fondation impactIA, c’est-à-dire que lorsqu’il y a un problème à régler ou quelque chose à réfléchir, on se rend tout de suite compte que ce n’est pas une piste qui va nous amener les choses, mais une multitude. D’où les conférences, l’exposition, et bien sûr tout à coup on se dit qu’il y a un gros enjeu : les nouvelles générations. Comment on peut amener aussi dans un festival comme ça des apports pour des enfants, pour des jeunes, pour qu’ils puissent embrancher dans cette réflexion-là, toujours en rentrant par le biais de l’art, et aller un peu plus loin sur les impacts, sur l’éthique, mais d’une façon qui soit concrète et palpable.

Jonathan : Oui, on a des thèmes qui reflètent un peu notre volonté d’aborder les thématiques à travers l’humain plus qu’à travers la technologie. On a conscience et créativité…

Laura : … Intelligence artificielle, art et industries créatives ; les intelligences hybrides, qui est une conférence autour de comment on peut mettre l’intelligence artificielle, individuelle et collective ensemble pour dépasser les limites de chacune d’entre elles ; on a la diversité dans l’intelligence artificielle, qui est une des initiatives de la fondation d’arriver à 30% de femmes dans l’IA d’ici 2026 …

Jonathan : On a nos rapports avec les entités non-humaines, et aussi : comment survivre ? On a envie de questionner un petit peu l’intelligence artificielle ou la stupidité humaine : laquelle nous fait le plus peur ? Il faut aussi s’attendre à ce que les artistes interviennent à travers tout et dans tout, et on a aussi une particularité, qu’on a appelée Chimère. C’est notre intelligence artificielle « centrale », qui est l’entité du festival et qui va être à la fois en collaboration ou être utilisée comme outil par les artistes du laboratoire, et qui va aussi scripter ses propres versions de ce que devrait être une conférence de presse, un discours d’inauguration, etc. Du coup, on aura des interruptions, des interventions, à travers tous les jours du festival, et par les artistes humains, et par l’entité Chimère, notre intelligence artificielle résidente. 

Laura : Et je pense qu’une des choses que le Covid nous a montré, c’est qu’on devait vivre différemment nos rapports en présentiel à l’art, et ce festival c’est aussi une occasion où on va mixer entre du présentiel ou du virtuel, que ce soit aux conférences où on a des gens qui viennent du Canada, de Corée, d’Amérique, de Suisse… On a vraiment des intervenants qui vont se retrouver à chaque fois en panels. À part les deux langues (principalement l’anglais et le français), c’est aussi quelque chose qu’il va nous falloir apprendre à gérer au fil des prochaines années, cette multiplicité des langues. Donc aussi arriver à vivre des expériences artistiques et de réflexions plurimodales. 

Jonathan : Donc pour résumer : un grand laboratoire de questionnement, à travers de l’art, des conférences, des discussions, qu’on espère être ouvertes et accessibles à tout le monde !

3 MOTS CHACUN POUR DÉFINIR AIIA ?

Laura : Comprendre. Comprendre ce que l’IA est en train de changer. Confronter. Confronter ses propres perceptions à ce qu’on voit dans les journaux, à ce qu’on discute avec les gens autour d’un verre, à ce qu’on voit partout, et à ses connaissances. Et le troisième point, c’est Choisir. Choisir de quel genre de société on a envie à partir de maintenant, avec une technologie qui arrive en puissance assez forte, et de se rendre compte que ce choix on l’a maintenant, et que chacun peut l’avoir.

Jonathan : Moi je dirais ouvert, humain et absurde. Dans le sens d’ouvert à tous, à toutes les questions, à toutes les dérisions. Humain, de nouveau dans le sens de l’approche, et puis réellement les seules raisons valables de se poser les questions autour d’une nouvelle technologie sont des raisons humaines, à mon avis. Donc si ce n’est pas pour les humains, l’environnement ou la planète, pourquoi est-ce qu’on se pose ces questions éthiques autour de l’intelligence artificielle, ou bien des questions du tout ? Sinon, ce n’est plus que des questions économiques, et celles-là m’intéressent nettement moins. Et absurde, peut-être pour bien représenter le divorce entre l’humanité et la société, l’humanité et la technologie. 

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